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Blondinet - Jean Macé (Contes du Petit-Château)
Auteur : Jean Macé
Recueil : Contes du petit château (1862).
Niveau : 4.
Genre : Conte.
Document proposé par Littérature au primaire.
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BLONDINET
Il était une fois un bon petit enfant qui aurait voulu que tout le monde fût heureux. Il avait de grands yeux bleus, et de si jolis cheveux blonds qu’il n’était connu dans tout le pays que sous le nom de Blondinet. Il se désolait bien souvent parce qu’il se trouvait trop petit et trop faible pour être utile en quelque chose, et s’il se sentait pressé de devenir un homme, c’était pour avoir la puissance de faire beaucoup de bien. Il aurait remué le monde, s’il avait pu. Des petits enfants comme cela, il n’y en a pas beaucoup, c’est vrai. On en rencontre pourtant, et la preuve c’est que Blondinet en était un.
Dans ce temps-là vivait un grand magicien, ami intime des bonnes fées, qui correspondaient avec lui des quatre parties du monde. La correspondance était bien facile. Elles avaient chacune une boîte enchantée, percée d’un petit trou. Elles écrivaient sur un morceau de papier ce qu’elles avaient à dire au magicien, et le glissaient dans la boîte par le petit trou. Cela fait, elles n’avaient plus besoin de s’inquiéter de rien. Le morceau de papier arrivait tout seul à son adresse, sans que personne se dérangeât. Vous concevez combien c’était commode, et comme il était aisé au magicien de savoir ce qui se passait dans tous les pays.
Il apprit ainsi ce qui tourmentait Blondinet, et il en fut si touché qu’il se sentit devenir meilleur, c’est-à-dire plus puissant, car il faut que vous sachiez qu’il appartenait à une classe de magiciens dont la puissance était juste en raison de la bonté.
— Oh! oh! dit-il, voilà un enfant qui se croit trop faible, et qui m’a rendu plus fort que je n’étais. Il faut que je vienne un peu à son secours.
Et, braquant sa lunette avec laquelle il voyait à deux cents lieues, il se mit à regarder dans la maison du petit garçon.
C’était une assez belle maison, perdue dans la foule des maisons d’une longue rue. La rue elle-même disparaissait dans l’étendue d’une grande ville qui n’était pas la plus importante du pays; et le pays, à son tour, bien que très considérable, figurait comme un point sur le globe. Je vous laisse à penser la place que tenait là-dedans notre pauvre petit garçon.
Il était en ce moment tout seul dans la chambre des enfants, assis en face d’un livre qui n’avait pas l’air de l’amuser beaucoup ; et l’on apercevait en bas le groupe joyeux de ses sœurs qui épluchaient des fraises pour leur maman : c’était jour de confitures, et tout était en l’air dans la maison à l’occasion de ce grave événement. Je dois vous confesser que Blondinet était un peu paresseux. Le magicien le vit tout de suite à la façon dont il tournait et retournait son livre, qui se retrouvait le plus souvent la tête en bas. Les confitures occupaient le garçon bien plus sérieusement que le livre. Le cher enfant avait des petites jambes qui ne pouvaient pas rester une minute en place, et un jour qu’on avait dit devant lui qu’il faut laisser sautiller les petits oiseaux et les petits enfants, et que c’est une loi du bon Dieu, il avait été tout triomphant. En conséquence, il ne se gênait pas pour quitter le méchant livre à chaque instant, et aller faire des amitiés à deux jolis serins, ses camarades de sautillement, dont la cage, suspendue au mur, était un des grands ornements de la chambre. Ou bien il rendait visite à son jardin, un grand pot plein de terre, où il avait planté pendant l’hiver, avec ses sœurs, des pépins d’orange, et qui portait maintenant des orangers de trois pouces, mille fois plus choyés que ceux des rois dans leurs orangeries.
Il n’y avait pas dans tout, cela de quoi remuer beaucoup le monde.
— Je veux faire du cher petit homme le personnage le plus important de la terre, dit le grand magicien. Chaque fois qu’il remportera sur lui-même une victoire, tous les hommes en feront autant.
Et, braquant ailleurs sa lunette, il alla voir ce qui se passait dans un gigantesque château royal, où une grande réunion d’hommes d’État en perruques discutait solennellement de quelle couleur serait la robe de la reine le jour du couronnement.
Voilà, donc mon Blondinet qui tenait, sans le savoir, dans ses petites mains les destinées du genre humain tout entier. Il n’en apprenait guère mieux sa leçon, et, s’étant aperçu que les précieux orangers étaient un peu secs, il achevait de leur faire boire tout doucement un verre d’eau, quand une mignonne petite fée, qui avait entrepris de commencer à en faire un homme, entra sans frapper dans la chambre.
— Eh bien! monsieur, fit-elle un peu fâchée, c’est comme cela que nous apprenons notre leçon?
— Oh! je ne pouvais pas laisser nos arbres dans cet état-là : ils avaient trop soif. Et puis, il y a longtemps que j’apprends ma leçon.
— Eh bien ! récitez-la.
Il n’en savait pas un mot.
— Blondinet, vous me faites bien du chagrin ! dit la petite fée.
Et elle sortit en essuyant une larme qui roulait dans ses yeux.
L’enfant rentra en lui-même, et, tout honteux de sa conduite, il alla se mettre devant son livre qu’il étudia courageusement, sans plus s’occuper d’autre chose. Ses jambes cessèrent de remuer pour un instant, en dépit de l’exemple que leur donnaient celles des deux jolis serins, qui n’avaient pas été faits pour rien apprendre, les pauvres petites bêtes. Au bout d’un quart d’heure, la leçon était sue et bien sue, et Blondinet, enchanté de lui-même, courait après la bonne fée pour la lui réciter.
Pendant ce temps, un grand changement avait eu lieu sur la terre. Tous les petits polissons qui vagabondaient par les chemins, laissant là les billes et les tas de cailloux, s’étaient mis à courir de toutes leurs jambes du côté de l’école. Tous les ignorants avaient eu honte, et les libraires, assaillis à l’improviste par une fouie impatiente qui remplissait leurs boutiques, ne savaient plus sur quel livre se rabattre pour satisfaire à tant de demandes à la fois. Ceux qui ne savaient rien se sentaient saisis du besoin d’apprendre, ceux qui savaient quelque chose du besoin d’en savoir davantage, et l’on voyait des astronomes se précipiter dans les librairies, en demandant à grands cris des petits Manuels de Géographie. C’était une révolution générale dans les esprits, la plus heureuse qu’on eût encore vue depuis le commencement du monde ; et Blondinet avait fait cela à lui tout seul en apprenant bien sa leçon.
Il eut pour sa récompense personnelle un bon baiser sur chaque joue, et, l’heure du goûter étant venue, il fut invité à prendre sa part d’un festin splendide, composé d’une belle pyramide de tartines, avec les fraises qui avaient échappé à la bassine aux confitures. Une dame qui s’intéressait beaucoup aux enfants de cette maison leur avait envoyé tout un pot de crème pour ce jour-là, et ce fut un cri d’admiration quand toute la bande se vit en présence de ces bonnes choses. Rien ne donne appétit comme d’avoir bien travaillé. Blondinet, qui n’était pas précisément gourmand, ne laissa pas d’étendre la main avec un sensible plaisir vers une belle tartine qui venait juste du côté de la miche qu’il aimait le mieux. Joyeux et fier d’avoir bien su sa leçon, il bavardait tout en mangeant, et choisissait tranquillement ses fraises, laissant les plus belles, avec la crème, pour la fin. Son petit frère, dont l’appétit ne connaissait pas de limites, avait déjà tout dévoré qu’il en était à peine à la moitié de son goûter. Le petit contempla d’abord d’un œil de convoitise le restant de tartine, les grosses fraises et la tasse de crème; puis il voulut en avoir. Comme il était volontaire au possible, il menaçait déjà, de faire une scène de cris et de pleurs, quand l’aîné, touché de compassion, partagea de bon cœur avec le pauvre affamé. Il se sentait pourtant bien de force à manger tout. La maman, qui arrivait sur ces entrefaites, en eut le coeur bien réjoui, et elle envoya à Blondinet un sourire qui le paya largement de son sacrifice.
Mais il avait ailleurs une bien autre récompense. Voilà qu’au même instant, dans tous les pays du monde, les gens s’inquiètent tout à coup de ceux qui pourraient avoir faim. Chacun court à ses provisions et se met en route, cherchant partout les affamés. On ne voit dans les rues que des corbeilles remplies de pain, de grands plats de viandes, des sacs de pommes de terre, des paniers de fruits qu’on porte dans les pauvres maisons. Celui qui en a découvert une s’empresse d’y faire entrer l’abondance, et les autres lui envient sa trouvaille. Les malheureux indigents ne pouvaient en croire leurs yeux. Des enfants qui ne savaient pas encore ce que c’était qu’un gâteau firent alors connaissance avec ce remarquable produit de l’industrie humaine, et, ce qui ne s’était jamais vu, personne ne se coucha sans souper ce jour-là.
Quel triomphe c’était pour Blondinet ! mais il n’en savait rien. Pour le quart d’heure, une grosse question l’absorbait tout entier. Le petit fripon était tout à fait joli ; du moins il l’avait entendu dire bien souvent à sa bonne, qui l’adorait, et qui n’avait pas de plus grand bonheur que de lui mettre ses beaux habits. Après le goûter on avait parlé, pour compléter la fête, d’une promenade dans un grand jardin, où se réunissaient d’habitude les enfants riches de la ville ; et chacun de courir pour aller faire toilette. Or Blondinet avait un certain habit de velours noir dans lequel il se figurait être éblouissant. La bonne était du même avis, et bien que l’habit de velours eût été, dans le principe, consacré aux jours de fête, elle ne manquait pas une occasion de le tirer de l’armoire. La maman grondait ensuite mais le mal était fait, et l’enfant se redressait comme un petit coq dans son brillant costume. Cette fois encore on lui présenta l’habit de velours auquel il fit le plus gracieux accueil. Il avait déjà passé un bras quand sa grande sœur entra.
— Mon petit Blondinet, dit-elle, il ne faut pas mettre cet habit-là. Ta jaquette de coutil est bien assez bonne pour aller jouer dans le sable.
— Ma jaquette de coutil est déjà usée au coude. J’ai l’air d’un petit pauvre avec.
— Allons, sois gentil ! Tu sais que maman ne serait pas contente.
Le cher petit n’insista pas davantage. L’idée de chagriner sa mère lui fit oublier toutes ses pensées d’orgueil.
Il retira son bras, et prit docilement la jaquette de coutil sous laquelle il s’amusa comme un roi dans le jardin. Il avait à peine obéi à sa sœur que sur-le-champ l’orgueil s’envola de la terre. Les grandes dames en robes de damas commencèrent, sans savoir pourquoi, à rendre poliment leur salut aux plus petites bourgeoises. Les seigneurs de la cour se sentirent forcés de dire bonjour, en passant, aux paysans qui revenaient du marché. Les gens cherchaient dans leur tête les raisons qu’ils avaient eues jusqu’alors pour se mépriser les uns les autres, et ils ne pouvaient plus les trouver. C’était un soulagement universel dont vous ne sauriez vous faire une idée, et les petits garçons qui avaient été les premiers à l’école se trouvaient débarrassés eux-mêmes de cette sotte fierté qui les rendait si ridicules.
Que faisait Blondinet pendant ce temps-là?
Il était revenu de la promenade, et une grande dispute venait de s’engager entre lui et son autre sœur, son aînée d’un an seulement, qu’il aimait pourtant de tout son coeur. Celle-là avait le défaut favori des petites demoiselles ! elle était un tantinet moqueuse. Son frère ayant répété plusieurs fois devant elle qu’il voulait se faire médecin, elle ne l’appelait plus que Monsieur le docteur ; et pendant tonte la promenade, elle l’avait poursuivi de ce grand vilain mot, qu’elle prononçait en ouvrant la bouche le plus qu’elle pouvait.
— Cela m’ennuie maintenant de me faire médecin, dit à la fin le pauvre docteur. Je veux me faire évêque.
Ce fut, encore bien pis, et les Monseigneur l’évêque commencèrent à pleuvoir sur lui.
Quand faudra-t-il demander à, Monseigneur sa bénédiction? dit-elle enfin en s’inclinant avec une fausse humilité.
— Tu vas l’avoir tout de suite! s’écria Blondinet furieux.
Et sautant sur une règle qui se trouvait sous sa main ; il commença à faire les démonstrations les plus menaçantes pour la maligne petite fille.
Celle-ci, qui avait la main aussi leste que la langue, eut bientôt trouvé une autre règle, et les deux champions, s’étant mis en garde, s’escrimaient de leur mieux, en ayant soin toutefois de frapper non pas sur l’adversaire, mais sur son morceau de bois. Un coup de maladresse ayant fait arriver l’arme du garçon sur les doigts de sa sœur, elle poussa un petit cri de douleur qui fit tomber toute sa colère. Il jeta loin de lui la règle homicide, et passant ses bras autour du cou de la blessée :
— Pardonne-moi, petite sœur, lui dit-il avec des larmes dans les yeux ; je ne le ferai plus, et je te laisserai m’appeler Monseigneur l’Évêque tant que tu voudras.
Le papa, qui était le meilleur papa du monde, accourait au bruit de la bataille, et s’apprêtait déjà à être bien fâché. Quelle fut sa joie, quand il entra, d’apercevoir le frère et la sœur qui s’embrassaient tendrement ! Il les serra contre son coeur, et se trouva bien heureux d’avoir de si bons enfants.
Il y avait à ce moment-là de grandes guerres parmi les hommes. Ils inventaient à qui mieux mieux les machines les plus affreuses pour se détruire, luttant à qui y mettrait le plus d’esprit. Les uns avaient imaginé des tours de fer courant plus vite qu’un cheval au galop, dans lesquelles on était absolument à l’abri de toute attaque, et d’où l’on pouvait assassiner sans rien craindre tout ce qui se rencontrait. Les autres avaient trouvé des engins avec lesquels on lançait à deux lieues des moitiés de montagne, qui écrasaient les soldats par milliers, comme des mouches. À chaque invention nouvelle, c’étaient des trépignements d’enthousiasme parmi les combattants, il ne serait bientôt plus resté en vie que les inventeurs de machines à tuer, quand la bienheureuse règle rencontra les doigts de la sœur de Blondinet.
L’enfant n’eut pas plutôt mis bas les armes que toute cette ardeur guerrière tomba comme par enchantement. Lés gens s’aperçurent aussitôt qu’ils étaient bien simples de se tuer pour savoir qui avait raison. Ils convinrent de s’en rapporter au jugement de ceux qui les regardaient faire, et il y eut une immense embrassade sur toute la ligne, depuis les généraux jusqu’aux enfants de troupe, qui se donnaient auparavant des grands coups de leurs sabres, à chaque fois qu’ils se rencontraient en sortant de l’école.
Le bon petit Blondinet se coucha le soir, content de sa journée, après avoir reçu mille caresses de toute la famille; et il se demandait encore en s’endormant quand donc il aurait la taille d’un homme pour en avoir la force.
A la même heure, la terre, délivrée par lui de l’Ignorance, de la Misère, de l’Orgueil et de la Guerre, s’abandonnait aux transports d’une allégresse universelle, et sur toutes les montagnes, depuis la Norvège jusqu’au pays des Patagons, on allumait de si grands feux de joie qu’on pût les voir de la lune.
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Le grand magicien n’est plus là, chers petits enfants, pour donner une pareille importance aux victoires que vous pouvez remporter sur vous-mêmes. Il en reste pourtant quelque chose, et encore aujourd’hui, croyez-moi, les enfants sont plus forts que les hommes pour faire le bien. Pendant que vos parents sont obligés quelquefois de se sacrifier tout entiers pour vous empêcher d’être malheureux, avec les plus petits sacrifices vous pouvez, vous, les rendre complètement heureux. Si le monde n’en est pas changé d’un cou p, comme du temps de Blondinet, soyez bien persuadés cependant que ces petits sacrifices ne sont jamais perdus pour lui. Toutes les gouttes d’eau qui tombent se retrouvent dans la mer.
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