• — Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées
    Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncés.
    Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
    Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
    Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
    Du chien le plus hardi la gorge pantelante
    Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
    Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
    Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
    Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
    Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
    Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.

    Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
    Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
    Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
    Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
    Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
    Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
    Et, sans daigner savoir comment il a péri,
    Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.


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  • Un pauvre petit grillon,
    Caché dans l’herbe fleurie,
    Regardait un papillon
    Voltigeant dans la prairie.
    L’insecte ailé brillait des plus vives couleurs,
    L’azur, le pourpre et l’or éclataient sur ses ailes ;
    Jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs,
    Prenant et quittant les plus belles.
    Ah ! disait le grillon, que son sort et le mien
    Sont différents ! Dame nature
    Pour lui fit tout, et pour moi rien.
    Je n’ai point de talent, encor moins de figure ;
    Nul ne prend garde à moi, l’on m’ignore ici-bas ;
    Autant vaudrait n’exister pas.
    Comme il parlait, dans la prairie
    Arrive une troupe d’enfants :
    Aussitôt les voilà courant
    Après ce papillon dont ils ont tous envie.
    Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l’attraper.
    L’insecte vainement cherche à leur échapper.
    Il devient bientôt leur conquête.
    L’un le saisit par l’aile, un autre par le corps ;
    Un troisième survient, et le prend par la tête.
    Il ne fallait pas tant d’efforts
    Pour déchirer la pauvre bête.
    Oh ! oh ! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;
    Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
    Combien je vais aimer ma retraite profonde !
    Pour vivre heureux vivons cachés.


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  • Un jeune prince, avec son gouverneur,
    Se promenait dans un bocage,
    Et s’ennuyait, suivant l’usage :
    C’est le profit de la grandeur.
    Un rossignol chantait sous le feuillage
    Le prince l’aperçoit, et le trouve charmant ;
    Et comme il était prince, il veut dans le moment
    L’attraper et le mettre en cage ;
    Mais pour le prendre il fait du bruit,
    Et l’oiseau fuit.
    Pourquoi donc, dit alors son altesse en colère,
    Le plus aimable des oiseaux
    Se tient-il dans les bois, farouche et solitaire,
    Tandis que mon palais est rempli de moineaux ?
    C’est, lui dit le Mentor, afin de vous instruire
    De ce qu’un jour vous devez éprouver ;
    Les sots savent tous se produire ;
    Le mérite se cache, il faut l’aller trouver.


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  • Nuit de neige (Maupassant)
     

    Nuit de neige

    La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
    Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
    Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
    Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.

    Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes.
    L'hiver s'est abattu sur toute floraison ;
    Des arbres dépouillés dressent à l'horizon
    Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.

    La lune est large et pâle et semble se hâter.
    On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
    De son morne regard elle parcourt la terre,
    Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.

    Et froids tombent sur nous les rayons qu'elle darde,
    Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant ;
    Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement,
    Aux étranges reflets de la clarté blafarde.

    Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
    Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
    Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
    Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

    Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
    Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
    De leur œil inquiet ils regardent la neige,
    Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.

    Guy de Maupassant

     

    Poésie raccourcie à 3 paragraphes pour les plus petites classes

    (merci à Sapotille pour cette suggestion) : 

       Nuit de neige

    La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
    Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
    Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
    Quelque chien sans abri qui hurle au coin d’un bois.

    (...)

    Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
    Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
    Eux, n’ayant plus l’asile ombragé des berceaux,
    Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.

    Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
    Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
    De leur œil inquiet ils regardent la neige,
    Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas.


    extrait « Nuit de neige », Guy de Maupassant

     

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     Guy de Maupassant (1850-1893)

     Le parapluie (niveau 5)

     La ficelle (Niveau 5)

     Le conte de la bécasse (Niveau 5)

     

    Sites : 

    http://www.maupassantiana.fr/

    http://maupassant.free.fr/

     


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  • Jadis le seigneur Ratapon,
    Trouvant une lunette, en voulut faire usage.
    Pour mieux découvrir l'horizon,
    Le nouvel astronome au haut d'une maison
    Ajusta l'instrument ; et la première image
    Qui s'offrit à ses yeux, ce fut celle d'un chat. Il le crut à deux pas.
    Aussitôt notre rat
    Fuit dans un trou du voisinage.
    Y rester était le plus sûr :
    Mais s'ennuyant dans son réduit obscur,
    Il mit la tête à la fenêtre.
    Ne voyant aucun chat paraître,
    Il s'enhardit, fait quelques pas.
    «Voyons encor, dit-il, si le fléau des rats
    Est en embuscade et nous guette. »
    Alors ayant pris la lunette
    Par l'autre bout imprudemment,
    Il voit, mais en éloignement, Son ennemi.
    Le rat se crut en assurance. « Voyez-vous, disait-il, cette humble contenance ?
    Ah que je plains les rats sans connaissance,
    Qui n'ont pas observé comme moi l'imposteur ! »
    Le matou, cependant, plus proche qu'il ne pense,
    Happe notre spéculateur.

    À qui sait s'en servir telle chose est utile,
    Qui souvent nuit au malhabile.


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  • La guenon, le singe et la noix

    Une jeune guenon cueillit
    Une noix dans sa coque verte ;
    Elle y porte la dent, fait la grimace... ah ! Certe,
    Dit-elle, ma mère mentit
    Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.
    Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
    Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit !
    Elle jette la noix. Un singe la ramasse,
    Vite entre deux cailloux la casse,
    L'épluche, la mange, et lui dit :
    Votre mère eut raison, ma mie :
    Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.
    Souvenez-vous que, dans la vie,
    Sans un peu de travail on n'a point de plaisir.


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  • Travaillez, prenez de la peine :
    C'est le fonds qui manque le moins.
    Un riche Laboureur, sentant sa mort prochaine,
    Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
    "Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
    Que nous ont laissé nos parents :
    Un trésor est caché dedans.
    Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
    Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
    Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût :
    Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
    Où la main ne passe et repasse."
    Le père mort, les fils vous retournent le champ,
    Deçà, delà, partout....
    si bien qu'au bout de l'an
    Il en rapporta davantage.
    D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
    De leur montrer avant sa mort
    Que le travail est un trésor.


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  • Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
    Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
    J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
    Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture
    Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
    Repose le salut de la société,
    S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :
    - Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
    Je ne me ferai plus griffer par le minet.
    Mais on s'est récrié : - Cette enfant vous connaît ;
    Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
    Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
    Pas de gouvernement possible. À chaque instant
    L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
    Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.
    Vous démolissez tout. - Et j'ai baissé la tête,
    Et j'ai dit : - Je n'ai rien à répondre à cela,
    J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là
    Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
    Qu'on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certe,
    On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir,
    M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
    Pleins de l'autorité des douces créatures :
    - Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures.

     

    Victor Hugo (1802-1885)

    L'art d'être grand-père

     

    Poème proposé par Charivari dans le sujet Vos poésies préférées pour le cycle III (EDP).

    Source du texte numérisé : http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/victor_hugo/jeanne_etait_au_pain_sec.html

    D'autres poésies de Victor Hugo : voir ici.


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  • C'était, dans la nuit brune,
    Sur un clocher jauni,
    La lune,
    Comme un point sur un "i".

    Lune, quel esprit sombre
    Promène au bout d'un fil,
    Dans l'ombre,
    Ta face et ton profil ?

    Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
    Quel chérubin cafard
    Nous lorgne
    Sous ton masque blafard ?

    Est-ce un ver qui te ronge
    Quand ton disque noirci
    S'allonge
    En croissant rétréci ?

    Es-tu, je t'en soupçonne,
    Le vieux cadran de fer
    Qui sonne
    L'heure aux damnés d'enfer ?

    Sur ton front qui voyage,
    Ce soir ont-ils compté
    Quel âge
    A leur éternité ?

    Qui t'avait éborgnée
    L'autre nuit ? T'étais-tu
    Cognée
    Contre un arbre pointu ?

    Car tu vins, pâle et morne,
    Coller sur mes carreaux
    Ta corne,
    A travers les barreaux.

    Lune, en notre mémoire,
    De tes belles amours
    L'histoire
    T'embellira toujours.

    Et toujours rajeunie,
    Tu seras du passant
    Bénie,
    Pleine lune ou croissant.

    Et qu'il vente ou qu'il neige,
    Moi-même, chaque soir,
    Que fais-je,
    Venant ici m'asseoir ?

    Je viens voir à la brune,
    Sur le clocher jauni
    La lune
    Comme un point sur un "i".

    Je viens voir à la brune,
    Sur le clocher jauni,
    La lune,
    Comme un point sur un "i".


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  • Auteur : Robert Desnos.

    Genre : poésie.

     

    Le Capitaine Jonathan,
    Etant âgé de dix-huit ans
    Capture un jour un pélican
    Dans une île d'Extrême-Orient.

    Le pélican de Jonathan
    Au matin, pond un oeuf tout blanc
    Et il en sort un pélican
    Lui ressemblant étonnamment.

    Et ce deuxième pélican
    Pond, à son tour, un oeuf tout blanc
    D'où sort, inévitablement
    Un autre, qui en fait autant.

    Cela peut durer pendant très longtemps
    Si l'on ne fait pas d'omelette avant.

     

    Les autres "Chantefables" de Desnos

    Chantefleurs


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