Auteur : Jean Macé
Recueil : Contes du petit château (1862).
Niveau : 4.
Genre : Conte.
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(Jean Macé, Contes du Petit-Château)
Il était une fois un homme qui était tout petit, tout petit. Bien pris du reste dans sa petite taille, il portait haut la tête, et ne perdait pas une ligne de ses avantages ; mais il avait beau se redresser, il n’y avait pas à dire, il était tout à fait petit.
Il avait pour voisin un des hommes les plus grands qu’on eût jamais vus, et bien qu’ils vécussent en assez bonne intelligence, c’était un sujet de dépit sans cesse renaissant pour le petit homme que ce voisinage injurieux pour lui. Il n’était pas de sarcasmes qu’il n’inventât contre les hommes trop grands, et, partant de ce principe incontestable que le mérite ne se mesure pas à la taille, il en concluait invariablement que les petits hommes sont bien supérieurs aux autres.
Le grand voisin, qui était bon comme le bon pain, le laissait dire sans se fâcher. Il levait bien parfois un peu les épaules ; mais cela se passait si fort au-dessus de la tête de l’orateur que celui-ci n’en voyait jamais rien. Quand ils marchaient ensemble dans la rue, le grand poussait même la condescendance jusqu’à prendre le bras du petit pour avoir l’air de s’appuyer sur lui. Il laissait tomber son bras le long du corps, et passait sa grosse main sous l’épaule de l’autre, qui arrondissait le coude tant qu’il pouvait.
Ils allèrent un beau jour d’été se promener au loin dans la campagne, et après bien des tours et des détours, comme ils s’en retournaient déjà un peu fatigués, ils se trouvèrent tout à coup en face d’une petite rivière qui leur barrait le passage. On apercevait bien un pont ; mais c’était à une bonne demi-lieue plus loin. L’eau était claire et limpide, et, à première vue, en regardant les cailloux blancs et les mousses qui en couvraient le fond, on pouvait juger qu’elle n’avait pas plus de quatre à cinq pieds de profondeur dans les endroits les plus bas.
— Voilà qui se trouve bien, s’écria le grand voisin ; j’avais envie de prendre un bain; je vais traverser ce ruisseau-là.
Et il commença à ôter ses habits dont il fit un paquet qu’il prit à la main.
— Voulez-vous monter sur mon dos, mon ami ? dit-il alors à son compagnon.
L’autre s’indigna grandement, et lui demanda s’il le prenait pour un enfant
— Il me semble que j’ai des jambes aussi bien que vous, continua-t-il, et que je suis en état de marcher.
— Alors vous ferez bien d’aller chercher le pont que l’on voit là-bas. Je vous attendrai de l’autre côté.
Le petit homme était furieux.
— Ce grand Goliath aurait-il la prétention de m’humilier ? murmura-t-il entre ses dents. Je lui montrerai que je le vaux bien. Où un homme a passé, un autre homme peut passer aussi.
Là-dessus, il se déshabilla à son tour, et entra bravement dans la rivière, son paquet à la main.
A peine entré, il se trouva dans l’eau jusqu’au menton.
Ses habits, qu’il tenait élevés au-dessus de sa tête, demeuraient pourtant à peu près secs ; mais ayant fait un faux pas, il ramena involontairement sa main à lui, et, pour commencer, le précieux paquet prit un bain complet. Bientôt, l’eau devenant plus haute, notre homme perdit tout à fait pied, et le courant allait l’entraîner, quand le voisin, qui de l’autre bord le regardait faire, avança dans l’eau ses grandes jambes, étendit son grand bras, et, saisissant l’imprudent par les cheveux, le ramena sain et sauf à terre.
Il fallut attendre plus d’une heure pour faire sécher au soleil les habits du petit homme, et pendant que les habits séchaient, il eut tout le temps de faire ses réflexions.
— Les petits valent les grands, dit-il enfin quand il se fut habillé; cela je le soutiendrai jusqu’à mon dernier souffle : mais ils ne peuvent pas faire les mêmes choses.