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Friquet et Friquette - Jean Macé (Contes du Petit-Château)
Auteur : Jean Macé
Recueil : Contes du petit château (1862).
Niveau : 4.
Genre : Conte.
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FRIQUET & FRIQUETTE
(Jean Macé, Contes du Petit-Château)
I
Friquet aimait bien sa petite sœur Friquette ; mais il n’avait pas de plus grand plaisir que de la taquiner. Friquette aimait bien aussi son frère ; mais si l’occasion se présentait de lui faire une niche, elle ne la manquait pas. De là, des bouderies sans fin, des pleurs, des colères, et même, j’ai honte de le dire, des tapes et des égratignades, ce qui est toujours vilain, mais bien plus encore entre frère et sœur. Ils ne savaient pas, les méchants enfants, combien ils faisaient de peine à leur maman, qui aurait tant voulu les voir toujours gais et de bonne humeur, et qui pleurait bien souvent en cachette du chagrin que lui faisait leur conduite.
La vraie cause de toutes ces disputes, je vais vous la dire. Monsieur Friquet était tout fier d’être un homme; et, en raison de cette haute position, il n’imaginait pas qu’une petite fille pût jamais lui résister. De son côté, mademoiselle Friquette avait entendu dire qu’on doit toujours céder aux dames ; et, dame étant, elle voulait profiter tout à son aise d’un aussi beau privilège. Il était difficile de faire vivre ensemble des prétentions si opposées, si bien que, tout en s’aimant au fond réellement, le frère et la sœur étaient à chaque instant comme chien et chat.
Friquet était un gros garçon qui avait déjà de bons petits poings, et la force était de son côté. Friquette était une jolie petite fille, un peu délicate, fine et rusée, et qui reprenait son avantage par l’esprit, dont elle avait à revendre. Vous raconter tous les mauvais tours qu’ils se jouaient mutuellement, à Dieu ne plaise! C’est quelque chose de si triste que la méchanceté entre frère et sœur que je n’aurais aucun plaisir à le dire, ni vous à l’écouter.
Pourtant il faut que vous sachiez qu’un certain jour de printemps, comme les deux enfants étaient dans le jardin avec leur mère, l’idée vint à Friquette de demander un petit coin de terre, pour se faire un jardin à elle, et, le coin de terre lui ayant été accordé sur-le-champ, Friquet voulut aussi avoir le sien, non pas précisément qu’il en eût grande envie, mais pour ne pas avoir moins que sa sœur. C’était une des grandes sources de leurs querelles que ce mauvais sentiment de jalousie, si vil et si honteux, qui ne permettait pas à l’un d’être témoin d’un plaisir de l’autre sans le lui envier, au lieu de s’en réjouir pour lui. Les enfants qui ont bon coeur ne le connaissent pas, ce sentiment, et, pour récompense, le bonheur des autres les rend heureux, tandis qu’il rend malheureux les jaloux, qui n’ont vraiment que ce qu’ils méritent.
Pour en revenir à maître Friquet, à peine eut-onfait la distribution des jardins, qu’il courut à la logette du jardinier où l’on gardait des outils légers à l’usage du grand-papa, qui se plaisait de temps en temps à travailler dans les plates-bandes. Petite bêche, petite pioche, petit râteau, et jusqu’à un joli plantoir effilé qui servait au grand-papa à mettre en terre les oignons de tulipe, en un clin d’œil il eut fait rafle de tout, et, déposant ce butin sur son terrain, il ne voulut jamais permettre à la pauvre Friquette d’en approcher. Elle eut beau prier, il fit la sourde oreille ; et bien qu’elle eût réussi à mettre la main sur un outil, pendant qu’il avait le dos tourné, elle n’en profita guère, car il se jeta sur elle sans la moindre galanterie, et le lui arracha brutalement des mains. J’ai vu quelquefois des petits garçons brutaliser ainsi leurs sœurs, et je me rappelle très bien qu’ils s’en sont toujours repentis.
Cette fois ce fut la malice de Friquette qui punit le vilain brutal, et réellement ce ne fut pas très beau non plus, car malice ne vaut pas mieux que brutalité. La maman, appelée pour recevoir une visite, avait quitté le jardin; et la petite fille, laissée sans défense vis-à-vis de son despote, s’était vue réduite à traîner péniblement jusqu’à sa propriété une grosse bêche, presque aussi lourde qu’elle, avec laquelle elle s’efforçait de retourner sa terre tant bien que mal, non sans rêver aux moyens de se venger. Bientôt Friquet, amplement pourvu de tout ce qu’il lui fallait, eut bêché, ratissé, préparé à plaisir une jolie place, et il commença à parler d’ensemencer, en fin cultivateur qu’il était.
— Je vais aller te chercher des semences, dit Friquette qui s’élança vers la maison, le laissant ébahi d’une si prompte complaisance.
La petite rusée écoutait tout ce qui se disait devant elle, et retenait tout ce qu’elle entendait. Or elle avait entendu dire à son père, un jour qu’on causait jardinage à table, que les semences exposées à une trop grande chaleur perdent la faculté de germer, et ne produisent pas plus de fleurs, ni de légumes, que si l’on mettait en terre des petits cailloux. Elle courut vite au tiroir où l’on serrait les graines des fleurs, fit sa provision, et revint avec des paquets étiquetés qu’elle présenta d’un petit air innocent au trop confiant Friquet. Elle se garda bien de lui dire qu’avant de retourner au jardin elle avait passé par la cuisine, qui se trouvait justement vide pour l’instant, et qu’elle avait laissé les paquets cinq minutes dans le four, à côté du rôti qui cuisait pour le dîner. Ils étaient bien un peu roussis ; mais on n’y fit pas attention.
— Merci, dit Friquet qui voulut répondre à sa politesse. Veux-tu que j’en mette dans ton jardin?
— Oh non ! il n’est pas encore arrangé, et cette bêche me fatigue trop. J’en ai assez.
Là-dessus elle rentra dans la maison pour rire tout à son aise, pendant que mon Friquet alignait consciencieusement sa graine d’attrape, et combinait en artiste les fleurs qui devaient infailliblement pousser dans un jardin aussi bien préparé.
Friquette avait une charmante poupée, la confidente de tous ses chagrins et de toutes ses joies, une amie comme elles devraient être toutes, qui ne la contrariait jamais, demeurait où on la plaçait, et lui laissait toujours la parole. Ce n’est pas beaucoup la peine d’avoir fait une méchanceté si l’on n’a personne â qui la raconter. A peine rentrée, Friquette prit la poupée dans ses bras, et, pour ne pas être dérangée, l’emporta dans une chambre d’en haut, où l’on serrait le linge. Elle la mit debout contre une des grandes armoires, et s’asseyant en face d’elle sur un petit tabouret, elle commença à lui raconter l’histoire du jardin, mais avec tant de détails et ornée de si jolies réflexions, que jamais poupée ne fut haranguée d’aussi belle façon.
Cependant Friquet avait enfoui ses précieuses graines jusqu’à la dernière. Il ne lui restait plus qu’à voir venir les fleurs, et, l’ennui le prenant d’être seul, il jugea convenable d’inviter sa sœur à un autre jeu. Les siens n’étaient pas trop variés, je dois le dire. Tantôt on jouait au cheval ; et c’était lui naturellement qui tenait le fouet. Tantôt on jouait au voleur ; et, comme porteur de l’autorité, c’était encore lui qui faisait le gendarme. Ou bien on essayait d’une partie de cache-cache ; mais la plupart du temps elle n’allait pas loin, parce qu’il voulait toujours se cacher, et cela finissait invariablement par une révolte. En raison de ses habitudes bien connues, la petite sœur n’avait pas beaucoup d’enthousiasme pour ces jeux-là; aussi, quand elle l’entendit appeler :
— Friquette! Friquette! par toute la maison, elle ne bougea pas plus qu’un soliveau, et continua tranquillement le duo à une seule voix qu’elle exécutait avec la chère poupée.
A la fin, à force de fureter, l’habile jardinier pénétra dans la chambre au linge, et grande fut son indignation contre la rebelle qui préférait à l’honneur de jouer avec lui la compagnie d’une sotte poupée. D’un bond, il sauta sur la petite amie qui lui faisait concurrence, et la fit galoper par toute la chambre, en l’agitant triomphalement au-dessus de sa tête. Mais sur ce chapitre-là Friquette n’entendait pas raillerie. Elle était alors comme une lionne à qui les chasseurs ont pris ses petits; et elle commença une poursuite furieuse, cherchant à effrayer le ravisseur de ses cris, et le menaçant de ses petits ongles pointus qu’il connaissait parfaitement. L’autre était leste comme un singe. Se voyant serré de trop près, il sauta sur la table qui était rangée contre l’armoire du milieu, tira une chaise à lui, sauta dessus, et en moins de temps que je n’en mets à vous le raconter, il était juché sur le haut de l’armoire, et poussait un cri de victoire, en frottant au plafond le nez de la poupée qui ne s’en releva jamais.
Friquette était hors d’elle; mais elle ne perdit pas la tête. Vite, elle enleva la chaise, poussa la table avec une force que la colère seule pouvait lui donner ; et voilà mon Friquet prisonnier là-haut, en tête-à-tête avec le plafond. Alors, avec une éloquence enflammée, elle lui reprocha amèrement sa conduite ; et, dans l’emportement du discours, elle lui révéla le fatal secret qui réduisait à néant toutes ses espérances. Elle avait bien compté d’abord le garder pour elle, afin de se ménager la longue joie de le voir faire son inspection tous les matins, et prendre toutes les mauvaises herbes, l’une après l’autre, pour les fleurs qu’il attendait. Mais les colères de certaines petites demoiselles ont des impétuosités qui balayent tous les calculs, si mauvais qu’ils soient ; et elles sont en cela meilleures que nous, les chères créatures ! leur imprudence rachète leur malignité.
Quand Friquet apprit l’horrible vérité, il bondit de rage sur son armoire; mais, hélas! que faire? Son ennemie ne se sentait que trop bien hors de portée. Elle répondit à ses imprécations par un geste dédaigneux, et sortit majestueusement, en l’abandonnant à son malheureux sort.
Il se fit bientôt délivrer, car il commença à faire un tel vacarme, hurlant comme un diable en cage, et trépignant si fort contre les parois sonores de l’armoire, que la maison entière en trembla. La maman accourut tout effrayée, et la vieille dame qui lui rendait visite s’empressa de la suivre, car elle avait cru dès l’abord à un malheur. Elles se mirent à rire toutes les deux, en apercevant le bel oiseau sur son perchoir, et au moyen d’une échelle lui rendirent aussitôt la liberté.
— Que faisais-tu là, mon pauvre Friquet ? lui dit la vieille dame.
L’enfant voulut parler ; mais la colère et la honte le suffoquaient. Sa mère avait cessé de rire en voyant son regard sombre et sa figure bouleversée, et un profond chagrin s’était emparé d’elle : elle avait compris que c’était encore un tour de sa sœur. Elle tenait le pauvre petit sur ses genoux, et s’efforçait de le calmer avec de douces paroles, et de tendres baisers, pour savoir de lui ce qui s’était passé. Mais il se laissait faire, et ne desserrait pas les dents:
— Je vois bien qu’il faut aller chercher mademoiselle Friquette, dit la dame qui se mit en quête de la coupable.
Cette dame n’était rien moins que la célèbre fée Blanchette, ainsi nommée parce que ses cheveux avaient blanchi de bonne heure, en signe de la grande sagesse qui lui était venue prématurément. La fée Blanchette avait le don inestimable de corriger les enfants méchants. D’un coup d’œil elle jugeait d’où partait le mal, et ils ne savaient pas résister à sa manière de les regarder. Il faut dire aussi qu’elle les aimait de tout son coeur, ce qui lui donnait un grand avantage sur eux, car l’enfant le plus rebelle se laisse facilement dompter par une volonté ferme, quand il sent qu’il y a de l’amour derrière. De l’amour, les mères en ont assez, et au-delà; niais c’est la volonté qui n’est pas toujours devant. Et puis Blanchette était fée, ce qui explique tout.
Elle reparut bientôt tenant la petite fille par la main, et l’emmena devant son frère dont elle n’approchait pas sans une certaine crainte.
— Qu’avez-vous fait, mademoiselle ? lui dit-elle d’une voix sévère.
— C’est lui qui m’a pris ma poupée et qui me l’a tout abîmée!
— Non, c’est elle ! s’écria Friquet qui recouvra subitement la parole. Elle est allée chauffer des graines au four et me les a données pour qu’il ne pousse rien dans mon jardin.
— Pourquoi aussi as-tu pris tous les outils pour toi? Tu m’as tout écorché la main en -m’arrachant la petite bêche.
Et les deux enfants, s’animant au récit de leurs griefs réciproques, s’attaquaient des yeux et du geste, et se mettaient bec à bec, comme deux petits coqs qui vont se battre.
— Laissez-moi faire, dit la fée.
Elle prit le petit garçon et le leva en l’air de toute la hauteur de ses bras. Ensuite elle enleva de terre également la petite fille, en la regardant tendrement. Puis elle les plaça tous deux sur les genoux de leur maman qu’elle embrassa au front.
— Adieu, chère dame, dit-elle. Ayez bon espoir; vous me reverrez dans un an.
Et comme elle allait sortir, elle se retourna vers les enfants
— Surtout, dit-elle, je vous défends de rien dire à personne.
II
Dire quoi? Vous ne le devineriez jamais.
Friquet se regardait : il avait une petite robe, un tablier avec des rubans, et des boucles blondes qui dansaient sous ses yeux.
Friquette avait une blouse à ceinture et un pantalon; et en portant la main à sa tête, elle y trouva une casquette.
Un coup d’œil jeté sur une grande glace, qui était au fond de la chambre, leur révéla la métamorphose. Friquet était devenu la petite fille, et Friquette le petit garçon. Le premier ouvrait et fermait machinalement ses mains devenues toutes mignonnes : il ne retrouvait plus sa force, et il était humilié. L’autre se sentait la tête plus lourde qu’à l’ordinaire, et n’était pas moins humiliée, car elle ne retrouvait plus ses idées.
Pris d’un désespoir commun, ils se jetèrent en pleurant dans les bras l’un de l’autre, chacun embrassant l’image de ce qu’il avait été; et la pauvre mère consolée espéra des jours meilleurs, car elle voyait bien que le charme inconnu de la bonne fée opérait sur eux. Sans demander une explication qu’on leur avait défendu de donner, elle jouissait avec délices de cet heureux changement, et les couvrait de caresses qu’ils lui rendaient timidement.
Sur ces entrefaites, le papa rentra pour dîner. C’était un mathématicien, grand savant, qu’on consultait de plus de cent lieues de loin dans les questions difficiles; mais non pas de ces savants qui n’ont que le souffle, et qu’on renverserait d’une chiquenaude. Celui-là était solide, haut en couleur et carré des épaules, avec une voix formidable et des yeux comme des escarboucles. On l’aurait pris pour un homme féroce, s’il n’avait pas eu un coeur d’or qui donnait à sa figure une expression de bonté tout à fait rassurante pour qui savait y lire.
Quand le cher homme s’en revenait le soir, l’esprit tout brouillé d’algèbre et de géométrie, la pensée de ces deux petites têtes rieuses qui l’attendaient à la maison faisait circuler joyeusement le sang dans ses membres vigoureux ; le coeur reprenait le dessus sur le cerveau ; il cessait d’être un savant pour redevenir un homme bon et tendre; et il arrivait la figure épanouie, pressé d’enterrer sous le babil de ses enfants les innombrables calculs et les efforts de tête de sa journée. Hélas ! que de fois il trouvait en entrant des mines boudeuses et des yeux qui avaient pleuré ! II fallait le voir alors prendre sa grosse voix, et lancer des regards semblables à des éclairs. La mère elle-même était grondée quand elle voulait intervenir, et les criminels comparaissaient devant ce terrible juge qui commençait son interrogatoire. Mais les petits scélérats connaissaient le défaut de la cuirasse, et si, par malheur, une câlinerie venait à le désarmer, fût-ce pour une seconde, dès qu’il avait souri, il était perdu. Aussitôt partait un feu de file d’accusations entrecroisées, de démentis énergiques, d’explications qui n’expliquaient rien; et, bien loin de se reposer, le pauvre papa se voyait sur les bras des problèmes à résoudre, bien plus compliqués sans contredit que tous ceux sur lesquels il avait pâli auparavant, la plume ou la craie à la main. Voyez combien c’était mal de la part d’enfants qui avaient un si bon père, dont on parlait avec respect à l’Académie des sciences, et auquel ils gâtaient ainsi son moment de repos.
— Voyons, s’écria-t-il en se jetant, tout en colère, sur une chaise ; qu’y a-t-il encore ici?
— C’est Friquet qui a été méchant, dit le petit garçon.
— Non, c’est Friquette qui a été mauvaise, dit la petite fille.
Ils avaient oublié tous les deux, à la vue du père, qu’ils avaient changé d’habitation, et chacun s’empressait d’excuser l’ancien logis.
C’était du nouveau pour notre savant, qui n’était pas habitué à tant d’abnégation.
— A la bonne heure, au moins, fit-il en se radoucissant, voilà de bons enfants qui s’accusent eux-mêmes. Voyons, contez-moi cela, mes mignons.
Et trop heureux de pouvoir les embrasser à son aise, il les enleva tous les deux d’une seule brassée, et les campa sur ses genoux, où, en attendant le récit de leurs crimes, il les faisait aller à dada.
Friquette, petit garçon, et Friquet, petite fille, réfléchissaient pendant ce temps-là. Raconter la métamorphose, c’était défendu, et d’ailleurs les aurait-on crus? Justifier l’ancien masque, c’était accuser le nouveau, et appeler la punition sur la tête qu’on avait. D’autre part, ce cri accusateur sorti à l’étourdie des lèvres du faux Friquet et de la fausse Friquette avait été si favorablement reçu, en se présentant sous la forme d’un aveu, que c’était bien encourageant.
Friquet, qui avait le plus d’esprit, depuis qu’il était devenu petite fille, se décida le premier. Il raconta comment le garçon avait abusé de sa force dans le jardin, et comment il avait fait galoper la poupée, sans permission, dans la chambre au linge. Naturellement il eut soin de ne pas appuyer sur les détails, et laissa dans l’ombre ceux qui pouvaient avoir quelque chose d’odieux. Il invoqua même les circonstances atténuantes. C’était vraiment touchant, pour ceux qui n’avaient pas le secret de la comédie, de voir comme cette bouche de petite sœur accusait le petit frère avec ménagement; et le père, émerveillé, profita de l’occasion pour les embrasser encore une fois tous les deux.
Puis vint le tour de Friquette. Elle n’avait plus la langue si bien pendue ; néanmoins elle s’en tira passablement. Quand elle eut débité de sa voix la plus douce, et les yeux baissés, l’histoire des graines, comme elle regardait le papa en dessous, pour voir s’il ne se fâcherait pas trop, à son grand étonnement, elle le vit tout radieux. Le bon Dieu a donné aux papas et aux mamans l’ordre formel d’admirer leurs enfants, afin que tous, tant que nous sommes, nous soyons admirés au moins une fois dans notre vie. Fidèle à une consigne si douce, le bon savant perdait complètement de vue toute la noirceur de cette malice, et s’extasiait d’avoir une fille aussi savante pour son âge.
— Comment, petite coquine, tu sais déjà cela! dit-il en riant, et caressant de la main la chevelure soyeuse qui couvrait la nouvelle tête de maître Friquet. — Où a-t-elle été le chercher, bon Dieu? Entends-tu, ma chère, une fille de six ans qui fait à elle toute seule de la physiologie végétale !
— Je ne sais pas ce que c’est que ta physiologie végétale, reprit la mère, mais je sais bien que voilà des graines perdues, et qu’il y en avait au moins pour dix sous.
— La belle affaire! Nous en achèterons d’autres. Eh bien ! voyons, petit docteur en jupons, puisque vous en savez si long, dites-moi combien il vous fallait de degrés de chaleur pour faire réussir votre expérience.
Cela, Friquet ne le savait pas. Il avait bien trouvé en arrivant l’esprit de sa sœur; mais ce qui était dans les tiroirs de sa mémoire, elle l’avait emporté. Il fit comme des enfants que je connais bien, quand on les interroge en classe. Il remua les lèvres; mais il n’en sortait rien.
Ce fut la mère qui en porta la peine.
— Voilà ! tu l’as tout intimidée, cette pauvre petite, avec tes dix sous. Je parie qu’elle le sait.
Le petit garçon prit la parole.
— Friquette a entendu dire qu’il fallait 75 degrés de chaleur.
— Voyez-vous cela! Ils le savent tous les deux ! Vous êtes deux bijoux d’enfants ! Il faut que je vous embrasse.
Et jamais papa n’avait été plus heureux. De toutes les histoires de la journée, pas n’est besoin de dire qu’il n’en fut plus question.
Friquet et Friquette se familiarisèrent avec leur nouvelle position, en voyant que cela tournait si bien. Le lendemain matin, quand le père et la mère descendirent dans le jardin, ils se montrèrent, avec des larmes dans les yeux, leur garçon qui bêchait avec ardeur le carré donné la veille à Friquette, et la petite fille accroupie sur le carré de Friquet, où elle mettait soigneusement de nouvelles graines dans de nouveaux trous. Ils se rendirent ainsi quelque temps, sous l’empire des anciens souvenirs, de ces petits services qui faisaient tant de plaisir à leurs parents. Mais l’habitude en vint, et elle leur parut bientôt si douce qu’ils continuèrent par bonté ce qu’ils avaient commencé par égoïsme. Le petit garçon mettait sa force au service de sa sœur, la petite fille son esprit au service de son frère, et cela sans compter, car celui qui rendait le service en était aussi heureux que celui qui le recevait. Ils finirent par ne plus se rappeler qui était Friquet et qui était Friquette; et quand la fée Blanchette revint, selon sa promesse, au bout de l’année, et qu’elle remit les choses en place, ni l’un ni l’autre ne parut y prendre garde, car ils n’avaient plus qu’un seul coeur à eux deux.
Vous pouvez penser quel accueil la bonne fée reçut dans cette maison, d’où elle avait chassé les disputes, les méchancetés et les pleurs, et quelle fête lui firent les parents. La vie n’était plus pour eux qu’une réjouissance continuelle, depuis qu’ils avaient des petits enfants si gentils, et, chose que vous aurez peine à croire, ils s’aimaient bien plus qu’auparavant. On ne se doute pas combien des enfants méchants parviennent à jeter de froid dans cette alliance sacrée du papa et de la maman, par les désaccords qui surviennent à cause d’eux. Le pauvre mathématicien, autrefois si mal délassé de ses pénibles travaux, rentrait maintenant avec confiance clans son petit paradis. Il n’avait plus le sang à la tête, et n’était plus jamais de mauvaise humeur. La mère, que les chagrins commençaient déjà à pâlir, redevenait toute rose et toute fraîche, depuis qu’elle était heureuse toute la journée.
Ils racontèrent à la fée Blanchette, avec mille témoignages de reconnaissance, toute la joie qu’ils avaient de leurs enfants, et quel plaisir c’était pour eux quand ils les menaient au Jardin des Plantes, la promenade favorite du savant, de voir comme ils marchaient gentiment devant eux, la main dans la main, se disant de jolies petites choses, et comme ils étaient aux petits soins l’un pour l’autre. Le petit garçon prenait sa sœur dans ses bras pour lui faire voir les bêtes et les plantes par-dessus les balustrades, et la petite fille, qui retenait tout, disait leurs noms à son frère.
— Mais que leur avez-vous donc fait à ces pauvres enfants, demanda enfin la mère, quand vous les avez enlevés de terre?
— Je leur ai appris, ma chère amie, à vivre chacun de la vie de l’autre, à placer leur bonheur et leur gloire en dehors de leurs petites personnes ; j’ai détruit l’égoïsme en eux en leur faisant comprendre que c’est aussi notre intérêt d’être bon pour autrui. Ce que j’ai fait n’est pas difficile; tout le monde peut bien en faire autant.
— Ah ! dit le père qui n’avait pas que ses mathématiques dans la tête, que ne se trouve-t-il une bonne fée comme vous pour enlever aussi de terre tant de grands enfants qui se toisent d’un œil ennemi, et pour les envoyer vivre les uns chez les autres, seulement une heure dans l’année! que de querelles entre frères qui finiraient bien vite sur la terre!
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