• Naï l'esquimau (Luda)

    Naï l'esquimau (Luda)

    La Mer Froide est méchante. Dans le cœur des hommes, la peur était assise. Les hommes craignaient la mer, ils la saluaient bas, lui offraient de la viande, du poisson séché. Pour qu'elle ne se fâche pas, pour qu'elle leur donne à manger...

    Seul de tout le village, Naï ne craignait pas la mer. Il était jeune, et les jeunes, c'est bien connu, ont beaucoup d'audace.

    Seulement, Naï en avait vraiment trop. Rien ne lui faisait peur — ni la mer, ni les vents mauvais, ni les grandes bêtes qui habitent dans la mer... « Je suis un homme, il disait; je suis le plus fort ! » Un insolent, voilà ce qu'il était, Naï !

     

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    Auteur : Luda.

    Niveau : Niveau 3 (CE2).

    Manuel : Giraudin, Vigo, L'Oiseau-Lyre CE2.

     

    Naï l'esquimau 

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    I Un garçon plein d'audace

     

    1 Les vieux disent : « Dans le temps, des choses arrivaient, comme il n'en arrive plus aujourd'hui. Dans le temps, des choses étranges arrivaient... »

    Tout au bout du monde habitait Naï. Tout au bout de la Grande Terre, il habitait ; tout au bord de la Mer Froide. Son père était vieux déjà, et ne pouvait plus chasser. Alors, c'est Naï qui allait sur la mer avec les hommes du village. Ils chassaient le phoque, le morse ; ils vivaient comme ça.

     

    2 La Mer Froide est méchante. Dans le cœur des hommes, la peur était assise. Les hommes craignaient la mer, ils la saluaient bas, lui offraient de la viande, du poisson séché. Pour qu'elle ne se fâche pas, pour qu'elle leur donne à manger... Seul de tout le village, Naï ne craignait pas la mer. Il était jeune, et les jeunes, c'est bien connu, ont beaucoup d'audace. Seulement, Naï en avait vraiment trop. Rien ne lui faisait peur — ni la mer, ni les vents mauvais, ni les grandes bêtes qui habitent dans la mer... « Je suis un homme, il disait; je suis le plus fort ! » Un insolent, voilà ce qu'il était, Naï !

     

    3 Son père n'était pas content. Il disait à son fils :

    « Quand un homme revient de la chasse, il rapporte la bête qu'il a tuée et aussi un peu de sagesse. Il revient plus riche, il revient plus intelligent. Toi, tu ne ramènes que des bêtes tuées. La sagesse, tu la laisses courir sur la mer, et ta sottise, tu la laisses parler. Cesse de dire des paroles insolentes ! Sinon, la mer va se fâcher, va te manger !... »

    Naï riait seulement. Il avait trop d'audace, c'est bien vrai !

     

    4 Un jour, Naï prend son harpon, son arc avec les flèches, et s'en va sur la mer, dans son kayak. Loin de la côte, il s'en va très loin... Le temps est beau, la mer est calme. Naï crie au vent : « Souffle un peu ! Pousse-moi un peu, que je me repose, quand même ! »

     

    Le vent l'entend, se lève, se met à souffler. Doucement d'abord, puis fort. La mer devient sombre, se met à bouger. Naï pagaye vers la côte, mais le vent l'entraîne au large, dans la grande mer, toute démontée...

    Trois jours entiers, la mer méchante a ballotté le kayak sur les vagues. Au quatrième jour, le vent s'est fatigué, est tombé. Dans le kayak, Naï pagaye toujours, chante des chansons. Il n'a pas peur, Naï !

     

    3 La mer s'est calmée. Les phoques ont sorti leurs têtes rondes des vagues. Naï en a tué un, deux, trois... Naï a tué beaucoup de phoques. Il pagaye, il chante, il est content.

    « Oï-yo-ho-o ! chante Naï. J'ai fait une bonne chasse, quand même ! Je ramène beaucoup de viande, quand même ! Le vent m'a poussé ! La mer m'a porté ! Ils se sont fatigués ! Moi, je suis un homme ! Je suis le plus fort... »

    Comme Naï s'apprête à rentrer, tout devient noir comme si k soleil s'était caché. Naï lève la tête et voit devant lui un cachalot. Mais pas un cachalot ordinaire. Énorme, énorme, encore plus grand que ça et avec une crête sur la tête. Le cachalot des cachalots !

     

    II « Par trois fois, nous allons lutter »

     

    1 Le cachalot regarde Naï droit dans les yeux. Et voilà que, tout à coup, il se met à parler. Et il dit :

    « Ton père a chassé ici. Ton grand-père a chassé ici. Tous les hommes de ton peuple ont chassé ici. Toujours ils ont craint la mer. Toujours ils ont respecté la mer et les bêtes qui y vivent. Toi, tu dis des paroles insolentes, tu ne respectes pas la mer. Pour te punir, je vais te manger ! »

     

    2 Naï a le cœur qui tremble comme la queue d'un lièvre, mais il ne laisse pas voir sa peur. Il dit au cachalot :

    « Menacer les gens, c'est facile ! Il faut encore voir lequel des deux est vraiment le plus fort. Si tu gagnes, ne serait-ce qu'une fois, tu me mangeras et tu mangeras mon père et tous les hommes de mon peuple. Mais si je gagne, alors tu ne troubleras plus notre mer, tu ne mangeras plus les chasseurs... d'accord ?

    — D'accord ! dit le cachalot. Mais comment allons-nous lutter ?

    — Nous allons lutter à la course, répond Naï. Tu vois, tout là-bas, sur la côte, la maison de mon père ? Le premier qui arrive devant cette maison, il a gagné. Ça va comme ça ?

     

    3 — Ça va comme ça », dit le cachalot.

    Et les voilà partis tous les deux, à toute vitesse... Oï-ya-ha! Pauvre Naï ! Le cachalot l'a dépassé tout de suite. Il est arrivé sur la plage, s'est couché sur les galets ; il attend Naï, il lui crie de loin :

    « Tu as perdu, Naï ! Je suis le premier ! »

    Naï a lancé son kayak sur les galets de la rive, a couru vers la maison, s'est mis sur le seuil, et il a dit au cachalot :

    « C'est moi qui suis arrivé le premier, pas toi. On avait dit : « le premier qui arrive devant la maison ». Toi, tu es resté sur la plage, tu n'as pas pu monter jusqu'ici. C'est moi qui ai gagné ! »

    Le cachalot n'est pas content :

    « Bon, il dit. Mettons que tu as gagné cette fois... Mais rappelle-toi que nous avons encore à lutter ensemble. On se retrouvera. » Et le cachalot est parti dans la mer, pas content du tout.

     

    4 Au bout de quelque temps, Naï s'en va chasser le phoque sur la banquise. Il marche longtemps, il est fatigué, il se couche, s'endort au soleil... Tout à coup, il sent que la glace bouge. Naï se réveille et voit qu'il est en pleine mer, dérivant sur une petite banquise de rien du tout ! Pendant son sommeil, la glace a craqué, le courant l'a emporté dans la grande mer. Naï est ennuyé. Ça va mal, quand même ! Et juste à ce moment tout devient noir, comme si le soleil s'était caché. Le cachalot sort des vagues. Il crie à Naï :

    « Aha ! Cette fois, je te mange ! Et ton père avec, et tous les hommes de ton peuple !

     

    5 — Attends un peu! répond Naï. Encore deux fois nous avons à lutter. On ne sait pas qui sera vainqueur. Tiens ! Tu vois le bateau qui passe là-bas ? Séparons-nous. Celui vers qui le bateau viendra d'abord, il aura gagné. D'accord ?

    — D'accord ! » dit le cachalot. Et il s'en va loin, loin de Naï... Sur le bateau, un matelot crie : « À bâbord un cachalot ! » Un autre crie en même temps : « Un homme à la mer, à tribord ! » Le capitaine dit : « Il faut d'abord sauver l'homme ! » Et il fait venir le bateau près de la banquise de Naï ; il fait monter Naï à bord...

    Le cachalot rattrape le bateau, et dit à Naï :

    — Bon, bon ! Tu as encore gagné. Mais nous n'avons pas fini de lutter. On se retrouvera encore !... »

    Le cachalot a plongé dans la mer, Naï est rentré à la maison, chez son père...

     

    III Naï-le-courageux

     

    1 Une troisième fois, Naï s'en va à la chasse. Dans son kayac il s'en va, loin dans la mer, il s'en va... Et voici que tout devient noir comme si le soleil s'était caché.

    Voici le cachalot des cachalots qui sort de la mer. Il dit à Naï :

    « C'est notre dernière rencontre, aujourd'hui. C'est aujourd'hui que je te mange !

    — Il faut encore lutter pour la dernière fois ! dit Naï.

    — Bon, dit le cachalot. Nous allons courir sur la mer, en rond. Le premier qui se fatigue, il a perdu. Tu acceptes ?

    — Oh ! moi, je veux bien ! » dit Naï. Et il saute de son kayak sur le dos du cachalot. Il croise les jambes, s'installe...

    « On peut commencer ! dit-il.

    — Qu'est-ce que tu fais là ? fait le cachalot. Veux-tu descendre !

    — Pourquoi ? dit Naï. Tu n'as pas dit que c'est dans mon kayak que je devais courir sur la mer. Tu n'as qu'à nager. Moi, je viens avec toi. »

     

    3 Le cachalot se fâche pour de bon ! Il se met à courir sur la mer, à sauter, à battre l'eau de sa grande queue... Rien à faire ! Naï tient bon, se cramponne à sa crête, chante des chansons... À la fin, le cachalot en a assez. « Descends de mon dos ! dit-il. Tu m'ennuies !

    — Tu es fatigué ? demande Naï.

    — Oui, je suis fatigué.

    — Alors, tu as perdu ?

    — Bon. J'ai perdu, répond le cachalot.

    — Alors, rappelle-toi bien ; tu ne dois plus troubler notre mer. Tu ne dois plus manger les chasseurs. Tu l'as promis.

    — Bon. Je l'ai promis, c'est vrai. »

     

    4 Le cachalot a donné un grand coup de queue. Il est parti dans la mer, tout au fond. Naï est rentré à la maison. Il a appelé tous les hommes du village. Il a raconté ce qui s'était passé... « Vous voyez, a-t-il dit. J'avais raison. Je suis un homme. Je suis le plus fort. Le cachalot a une grosse tête, mais dedans il n'y a que des pensées de cachalot. Ma tête est petite, mais il y a des pensées d'homme dedans. C'est moi le plus fort ! »

     

    5 Les hommes du village ont hoché la tête, c'est vrai, quand même ! il a raison, Naï ! il a vaincu la mer, il a rendu service à tout le monde... Ce n'est pas Naï-l'Insolent qu'il faut l'appeler, mais Naï-le-Courageux !

    Et depuis ce temps, les cachalots ne mangent plus les hommes. Depuis ce temps, tout le monde sait que l'homme est le plus fort. Depuis ce temps, les chasseurs sortent en mer hardiment, prennent beaucoup de phoques, ont beaucoup de viande à manger. Et la peur n'habite plus le cœur des hommes.

     

    (Naï l'esquimau, conte esquimau raconté par LUDA,

    Librairie Vaillant)

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