• Les douze mois (S. Marchak)

    Quand un mois s'achève, l'autre commence aussitôt. Jamais encore on n'a vu Février venir avant que Janvier ne s'éloigne, ni Mai devancer Avril.

    Les mois se suivent et ne se rencontrent jamais.

    Les gens disent pourtant qu'un jour dans les montagnes de Bohême, une petite fille aurait vu les douze mois réunis. Comment cela a-t-il pu arriver ?

    Auteur : S. Marchak.

    Niveau : Niveau 3 (CE2).

    Manuel : Giraudin, Vigo, L'Oiseau-Lyre CE2.

    Les douze mois (S. Marchak)

    Les douze mois

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    I Une méchante femme

     

    1 « Sais-tu combien il y a de mois dans l'année ?

    — Il y en a douze.

    — Comment les appelle-t-on ?

    — Janvier, Février, Mars, Avril, Mai, Juin, Juillet, Août, Sep­tembre, Octobre, Novembre, Décembre. »

    Quand un mois s'achève, l'autre commence aussitôt. Jamais encore on n'a vu Février venir avant que Janvier ne s'éloigne, ni Mai devancer Avril.

    Les mois se suivent et ne se rencontrent jamais.

     

    2 Les gens disent pourtant qu'un jour dans les montagnes de Bohême, une petite fille aurait vu les douze mois réunis. Comment cela a-t-il pu arriver ?

    Eh bien ! voilà :

    Une femme avare et méchante vivait dans un hameau avec sa fille et sa belle-fille. Elle aimait sa fille, mais sa belle-fille ne lui plaisait en rien. Tout ce que faisait la petite était mal fait. Qu'elle se tournât à droite ou à gauche, ce n'était pas le bon côté.

     

    3 La fille se prélassait des journées entières sur son lit en croquant des friandises. La belle-fille était sur pied du matin au soir. Tantôt il lui fallait courir chercher de l'eau à la fontaine, tantôt ramasser du bois dans la forêt, ou bien rincer le linge à la rivière, ou encore arracher les mauvaises herbes du jardin.

    La pauvre enfant connaissait le froid de l'hiver et la chaleur de l'été, le vent du printemps et la pluie de l'automne.

    Et c'est pourquoi, peut-être, elle réussit un jour à voir les douze mois de l'année tous ensemble.

     

    4 C'était au plus fort de l'hiver, au mois de Janvier. La neige tombait si épaisse qu'il fallait dégager à coups de pelle la porte d'entrée. Dans la forêt, sur la montagne, les arbres emprisonnés par la neige ne pouvaient même pas se balancer au passage de la bourrasque.

    Les gens restaient chez eux près du feu.

    Un soir, la méchante femme entrouvrit la porte et regarda tourbillonner les flocons. Puis elle revint au chaud près du poêle et dit à sa belle-fille :

    « Tu devrais aller dans la forêt cueillir des perce-neige. C'est demain l'anniversaire de ta sœur. »

     

    5 La petite fille ouvrit de grands yeux. Était-ce une plaisanterie ? Ou fallait-il vraiment y aller ? La forêt lui faisait peur en cette saison. Et comment trouver des perce-neige en plein hiver ? On aurait beau chercher, elles ne se montrent pas avant le mois de Mars. Se perdre dans la forêt et s'embourber dans la neige, voilà ce qui l'attendait !

    La sœur lui dit alors :

    « Même si tu te perds, personne ne te regrettera. Dépêche-toi et ne reviens pas sans les fleurs. Tiens, emporte un panier. »

     

    II Les douze hommes mystérieux

     

    1 La pauvrette se mit à pleurer. Puis elle s'enveloppa dans son vieux châle déchiré et sortit. La neige l'aveuglait, le vent arrachait son châle. Elle avançait péniblement. Il faisait de plus en plus sombre. Pas une seule étoile ne brillait. Le ciel était tout noir. Seule, la neige luisait faiblement.

    Et ce fut la forêt. Quelle obscurité ! On ne voyait pas ses propres mains.

    La petite s'assit sur un tronc d'arbre. Elle ne bougea plus. « Mourir de froid ici ou ailleurs, c'est bien la même chose », pensait-elle.

     

    2 Subitement, une lumière apparut dans le lointain. Elle res­semblait à une étoile égarée dans les branches.

    La petite fille se leva et se dirigea vers la lumière. Elle s'en­fonçait dans la neige, elle enjambait les obstacles et se disait : « Pourvu que la lumière ne s'éteigne pas. » Mais, loin de dispa­raître, elle brillait de plus en plus fort.

    La fillette sentit une bonne odeur de fumée et entendit le crépitement d'un feu de bois. Elle pressa le pas, arriva dans une clairière et s'arrêta, éblouie.

     

    3 On y voyait comme en plein jour. Au milieu de la clairière brûlait un grand feu. Les flammes montaient presque jusqu'au ciel. Autour du feu, des gens étaient assis, les uns tout près des flammes, les autres un peu plus loin. Ils parlaient tranquillement.

    La petite fille les regarda. « Qui peuvent bien être ces gens-là? Ils ne ressemblent pas à des chasseurs, encore moins à des bûcherons. Qu'ils sont bien mis ! Les uns sont vêtus d'argent, les autres d'or. Et ceux-là ont des habits de velours vert. »

     

    4 Elle les compta avec soin. Ils étaient douze. Trois vieillards, trois hommes d'âge mûr, trois jeunes gens et trois adolescents. Les jeunes se tenaient tout près du feu ; les vieux, un peu à l'écart.

    Soudain, l'un des vieillards, le plus grand, avec une longue barbe et d'épais sourcils, se retourna. Il dévisagea la petite.

    Elle eut peur et voulut s'enfuir. Trop tard ! Il lui demanda d'une grosse voix :

    « D'où viens-tu et que cherches-tu par ici ? »

     

    5 Elle lui montra son panier et dit :

    « Il faut que je remplisse ce panier de perce-neige. » Le vieux éclata de rire.

    « Des perce-neige en Janvier ? En voilà une idée !

    — Moi, je ne voulais pas... C'est ma belle-mère qui m'a envoyée en cueillir. Elle m'a défendu de rentrer avec le panier vide. »

    À ces mots, ils la regardèrent tous et se mirent à parler entre eux. La petite fille demeura immobile. Elle entendait leur voix, sans comprendre leurs paroles. On aurait dit le bruissement des arbres plutôt que le langage des hommes.

     

    III Des perce-neige par milliers

     

    1 Les douze hommes ont pitié de la petite fille. Le grand vieillard — il s'agit de Décembre — cède sa place à son frère Janvier, puis celui-ci à Février qui laisse bientôt son frère Mars s'ins­taller dans la forêt.

    La petite fille n'en croyait pas ses yeux. Où avaient disparu les tas de neige ? Où étaient passés les glaçons qui pendaient à chaque branche ?

    Sous ses pieds, elle sentait la terre, douce et printanière. Partout des gouttes, des ruisselets, partout le murmure de l'eau. Les bourgeons gonflaient et de leur sombre enveloppe sortaient de tendres et minces feuilles vertes.

    2 Émerveillée, elle écarquillait les yeux.

    « Allons, lui dit Mars, dépêche-toi. Mes frères ne nous ont accordé qu'une petite heure. »

    La fillette courut vers les taillis pour y chercher des perce-neige. Quelle multitude ! Il y en avait sous les buissons et sous les pierres, sur les talus et sous les mottes de terre, partout où se posait le regard. Elle en cueillit plein son panier, elle en remplit son tablier. Puis elle retourna vite à la clairière.

     

    3 Là, plus de feu, plus personne. Il y faisait toujours clair. Mais ce n'était plus maintenant que la lumière froide de la lune au-dessus de la forêt.

    Attristée de partir sans avoir pu remercier les douze frères, la petite fille courut à la maison.

    La lune l'accompagna jusque chez elle.

    Elle arriva à bout de souffle. Dès qu'elle eut franchi la porte, la tempête hurla de plus belle et la lune disparut derrière les nuages. « Alors, te voilà déjà, dirent la méchante femme et la sœur en l'apercevant. Où sont les perce-neige ? »

     

    4 Sans un mot, la petite éparpilla sur un banc le contenu de son tablier. À côté, elle posa le panier.

    « Mais où les as-tu trouvées ? » s'exclamèrent-elles.

    La fillette raconta tout ce qui s'était passé. Toutes deux l'écoutaient hochant la tête, ne sachant que penser. Cela paraissait invraisemblable et pourtant les perce-neige étaient là, devant elles. Toute une brassée, fraîche, bleutée, embaumant le printemps.

    « C'est tout ce que les mois t'ont donné ?

    — Mais je ne leur ai rien demandé d'autre, répondit la petite fille.

     

    5 — En voilà une sotte, fit la sœur. Pour une fois que tu ren­contres, ensemble, tous les mois de l'année, c'est tout ce que tu rapportes — des perce-neige ! Si j'avais été à ta place, moi, j'aurais bien su ce qu'il fallait leur demander. À l'un, des poires et des pommes bien douces. À l'autre, de belles fraises mûres. Au troisième, de petits champignons blancs et au quatrième, des concombres tout frais.

    — Voilà qui est bien parler, dit la femme. En hiver, les poires et les fraises n'ont pas de prix. On les aurait vendues. Que d'argent on en aurait tiré ! Mais cette sotte nous ramène des perce-neige. Habille-toi chaudement, ma fille, et va dans la clairière. Bien qu'ils soient douze et toi toute seule, tu ne te laisseras pas faire.

     

    IV « Je viens chercher des cadeaux »

     

    1 La fille s'élança, la pelisse sur le dos, le châle sur la tête.

    « N'oublie pas tes moufles ! Boutonne ta pelisse ! » lui cria la mère.

    Mais la fille était déjà loin. Elle courait vers la forêt. « Vivement la clairière ! » se disait-elle, tout en suivant les traces de sa sœur.

    La forêt devenait de plus en plus sombre, de plus en plus touffue. Et les tas de neige, pareils à des murs, se dressaient de plus en plus haut.

     

    2 « Oh ! soupirait la fille, pourquoi suis-je venue dans cette forêt ? Dire que je pourrais être au chaud dans mon lit au lieu de geler ici ! Et puis, je risque de me perdre ! »  

    Subitement, elle aperçut au loin une petite lumière, comme une étoile égarée dans les branches.

    Cette lumière la guida. Elle marcha longtemps, longtemps et arriva à la clairière. Au milieu de la clairière flambait un grand feu. Autour du feu se tenaient les douze frères, les douze mois. Ils parlaient tranquillement.

     

    3 La fille s'approcha du brasier. Sans un salut, sans une parole, elle se choisit une bonne place pour se réchauffer.

    Les mois se turent en la voyant. La forêt devint silencieuse. Soudain, Janvier frappa la terre de son bâton.

    « Qui es-tu, dit-il, et d'où viens-tu?

    — Je viens de chez moi, répondit-elle. Tout à l'heure, vous avez donné à ma sœur un panier plein de perce-neige. Alors, j'ai suivi ses traces et me voilà.

     

    4 — Ta sœur, nous la connaissons bien, dit encore Janvier, mais toi, c'est la première fois que nous te voyons. Que viens-tu faire parmi nous ?

    — Chercher des cadeaux. Je veux que Juin remplisse mon panier de fraises et qu'elles soient belles. Que Juillet me donne des concombres et des champignons bien blancs. Qu'Août me donne des poires et des pommes mûres, Septembre des noisettes, Octobre...

     

    5 — Attends ! interrompit Janvier. L'été ne vient pas avant le printemps, ni le printemps avant l'hiver. Nous sommes encore loin du mois de Juin. Pour l'instant, c'est moi le maître de la forêt. Mon règne dure trente et un jours.

    — Voyez-vous ce méchant ! s'écria la fille. Après tout, ce n'est pas toi que je cherche. Tu n'as rien à offrir que de la neige et du givre. Je viens voir les mois d'été. »

     

    V Terrassée par la tempête

     

    1 Janvier prit un air sévère :

    « Tu peux toujours chercher l'été en hiver », dit-il.

    Il secoua sa large manche et, tout à coup, l'ouragan se leva.

    Il enveloppa ciel et terre et cacha les arbres, la clairière et les douze mois. On ne voyait même plus le feu ; seuls le crépitement et le sifflement des flammes se faisaient entendre derrière un rideau de neige.

    « Arrête ! cria la fille terrifiée. Assez ! »

     

    2 Mais la tempête grondait de plus belle.

    Enlevée dans un tourbillon, aveuglée, le souffle coupé, elle tomba. Et aussitôt la neige l'ensevelit.

    Cependant, la méchante femme attendait, attendait toujours, regardait par la fenêtre, guettait devant la porte. Personne ne venait.

    Alors, elle s'emmitoufla bien chaudement et partit dans la forêt.

     

    3 Mais comment trouver quelqu'un dans l'épaisseur des fourrés par une nuit de tempête ?

    Errant, errant sans fin à la recherche de sa fille, elle fut, à son tour, terrassée par le gel.

    C'est ainsi qu'elles restèrent toutes les deux dans la forêt. La belle-fille, elle, vécut très longtemps, grandit, se maria et éleva ses enfants.

     

    4 On raconte qu'autour de sa maison s'étendait le plus merveilleux jardin du monde. Là, plus tôt que partout ailleurs, les fleurs s'épanouissaient, les fraises mûrissaient, les pommes et les poires se gonflaient de jus. Là, régnaient la fraîcheur pendant les étés brûlants et le calme pendant les tempêtes de l'hiver.

    Les bonnes gens disaient alors — et qui sait ? peut-être avaient-ils raison :

    « Heureux le logis qui voit les douze mois réunis ! »

     

    (S. MARCHAK, Les Douze Mois, traduit du russe par Elisabeth Lotar, Agence Vaap)

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