• Mademoiselle Sans-Soin - Jean Macé (Contes du Petit-Château)

    Auteur : Jean Macé

    Recueil : Contes du petit château (1862).

    Niveau : 4.

    Genre : Conte.

    Document proposé par Littérature au primaire.

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    MADEMOISELLE SANS-SOIN

    (Jean Macé, Contes du Petit-Château)

     

    Mademoiselle Sans-Soin était une bonne petite fille qui aimait bien son papa et sa maman; mais, ainsi que son nom l’indique, elle avait un vilain défaut : elle laissait tout traîner. Quand on la grondait, elle baissait la tête, et prenait un petit air malheureux qui vous désarmait. Ses grands yeux se mouillaient tout de suite, et, comme c’était la plus gentille enfant du monde, on se reprochait presque de l’avoir chagrinée, et l’on se mettait involontairement à la consoler. Mais, le dos tourné, il n’y paraissait plus, et le désordre allait son train de plus belle.

    Sans-Soin avait un frère, d’un an plus âgé qu’elle, dont l’exemple et les conseils avaient sur elle une mauvaise influence. C’était la coutume dans ce pays-là, quand les garçons commençaient à peine à faire leurs secondes dents, à l’âge où l’on a encore tant de plaisir à laisser leurs boucles tomber sur les épaules, à leur mettre de grandes collerettes, et à les entendre gazouiller dans la maison, c’était, dis-je, la coutume de les ,envoyer dans de grandes maisons, bâties comme des casernes, où, après les avoir tondus, on leur donnait des petites casquettes de soldat, qui se posaient crânement sur le coin de l’oreille, et des capotes militaires, boutonnées jusqu’au menton, avec des ceinturons en cuir verni : il n’y manquait plus que des petits sabres. Ces pauvres enfants apprenaient là à faire les hommes, et à regarder leurs petites sœurs du haut en bas. C’était une chose convenue dans ce petit monde qu’un homme qui se respecte ne doit rien tenir en ordre. Comme on citait des personnages du premier mérite, fameux par leurs distractions, qui mettaient toujours leur culotte à l’envers, c’était là une preuve de génie toute trouvée. Les grands de la maison avaient dit cela aux moyens, qui l’avaient dit aux petits, qui l’avaientdit, aux bambins; et le bambin l’avait redit à sa sœur.

    Forte de ce témoignage imposant, Sans-Soin, trouvait que c’était bien ridicule d’exiger d’elle une attention si minutieuse pour des détails tellementinsignifiants, rien ne lui paraissait plus insupportable que de toujours ranger des affaires qu’il fallait déranger le lendemain : Elle ne se doutait pas combien elle aurait besoin d’ordre plus tard, quand elle serait à son tour une maman, quelle honte c’est pour une femme d’avoir une maison où rien n’est à sa place. Sa maman qui le savait bien et qui l’aimait trop pour laisser cette funeste habitude s’enraciner en elle, sa maman ne savait plus comment faire pour l’en corriger : avertissements, prières, menaces, larmes même, elle avait tout épuisé, et, à la fin, elle résolut de la punir.

    La punir ! ce n’était pas bien difficile, la chère petite! Elle avait le coeur si sensible qu’un regard un peu sévère la bouleversait ; et quand elle voyait pleurer sa mère, elle entrait dans de véritables désespoirs. Malheureusement c’était du chagrin perdu, parce qu’elle ne voulait pas comprendre l’importance de ce qu’on lui demandait. Il lui semblait toujours que ses parents avaient bien tort de tant s’agiter pour des choses qui en valaient si peu la peine, et qu’on la rendait malheureuse sans rime ni raison. Donc, il fallut aviser à des punitions plus directes, pour frapper davantage son esprit. Son lit était-il en désordre, on lui faisait garder le bonnet de nuit toute la journée. A chaque fois qu’elle renversait son encrier par terre, et cela revenait souvent, on lui mettait une tache d’encre sur le bout du nez. Quand elle laissait à l’abandon un mouchoir, ou un fichu, on le lui pendait dans le dos. Je crois même qu’un jour on y accrocha un soulier qu’on avait trouvé, bien loin de son camarade, se promenant sur les marches de l’escalier.

    Tout cela l’humiliait beaucoup et ne la corrigeait pas.

    Elle finit même par se persuader qu’on ne l’aimait plus, puisqu’on s’acharnait ainsi à la tourmenter, et cette malheureuse pensée l’endurcissait encore dans le désordre. Enfin, un jour que son frère avait congé et qu’ils avaient, à eux deux, mis tout en l’air dans le salon et dans la salle à manger, on signifia à mademoiselle Sans-Soin qu’elle ne sortirait pas de sa chambre le lendemain de toute la matinée. C’était une punition bien sensible, car la présence du jeune monsieur était un événement pour elle depuis qu’il était enrégimenté, et il apportait maintenant dans leurs jeux des airs cavaliers et dominateurs qui, aux yeux de sa petite sœur, le grandissaient encore. Elle était un peu trop bonne, la chère enfant!

    Le lendemain matin, le soleil, en se levant, la trouva tout en larmes, assise dans son lit, et promenant des regards désolés sur sa chambre, sa prison jusqu’au dîner. Sa jolie robe neuve, étrennée la veille pour fêter la venue du frère, était jetée dans un coin, moitié par terre et moitié sur une chaise. Une des bottines était sous le lit, et l’autre contre la porte. Deux jolies mitaines en filet de soie grise couraient l’une après l’autre aux deux bouts de la cheminée, et le petit chapeau de velours noir, dont elle était si fière à la promenade, était planté de côté sur le pot à eau avec sa grande plume blanche qui descendait dans la cuvette.

    Sans-Soin regardait toute cette débandade avec une profonde indifférence, et ne songeait qu’à l’ennui de rester de longues heures toute seule, dans une chambre où il n’y avait rien à faire, du moment qu’on ne pensait pas à la ranger.

    — Que je suis donc malheureuse! s’écria-t-elle dans sa douleur. Tout le monde me déteste ici. On me fait les plus grands affronts. II n’y a que mon pauvre Paul qui me comprenne, et l’on m’empêche de jouer avec lui!

    La fée Rangeuse faisait en ce moment sa ronde dans la maison. Elle n’avait jamais voulu entrer dans cette chambre si négligée, car elle avait un profond mépris pour les petites filles étourdies et négligentes, et la demoiselle n’était pas de ses amies. Pourtant, quand elle l’entendit gémir et se plaindre de sa voix si douce, elle en eut compassion, et, croyant qu’elle se repentait enfin, elle ouvrit la porte,

    Vous pouvez croire que ses sourcils se froncèrent terriblement à l’aspect de ce beau désordre. Elle s’avança jusqu’au pied du lit.

       Vous n’avez pas honte, mademoiselle ! dit-elle d’un ton bien sévère. 

       Et de quoi donc, madame? répondit la petite fille toute tremblante. 

       Donnez-vous la peine de regarder dans cette chambre. 

       Eh bien ! qu’y a-t-il? 

    — Comment ! vous ne voyez pas dans quel désordre affreux tout y est? Il n’y a pas une seule pièce de votre habillement qui soit à sa place.

    — Si ce n’est que cela, fit-elle tout naïvement, il n’y a pas beaucoup de mal. Paul dit bien qu’on peut mettre ses habits le soir où l’on veut, et que la place n’y fait rien, pourvu qu’on les retrouve le matin.

    Ah ! la place n’y fait rien, reprit la fée qui s’était fâchée tout à fait, et c’est monsieur Paul qui a votre confiance! Eh bien ! vous allez voir.

    A ces mots, elle toucha l’enfant de sa baguette, et voilà ma petite Sans-Soin qui s’envole de tous les côtés. La tête va se mettre sous son chapeau dans le pot à eau, le corps dans la robe sur le travers de la chaise : chaque pied regagne sa bottine, l’un sous le lit et l’autre contre la porte, et les deux mains se fourrent dans les mitaines. Ce fut l’affaire d’une seconde.

     

    Mademoiselle Sans-Soin - Jean Macé (Contes du Petit-Château)


    — À présent, dit la fée, je vais vous envoyer monsieur Paul pour remettre tout cela en ordre. Vous verrez bien si la place n’y fait rien.

    Elle descendit dans la cour, où maître Paul profitait du temps que sa maman était encore au lit, pour essayer de fumer un bout de cigare oublié la veille par son papa.

    — Montez dans la chambre de votre sœur, lui dit-elle ; elle a besoin de vous.

    Paul ne fut peut-être pas fâché d’être dérangé dans une tentative qui commençait à mal tourner ; il déposa pourtant le précieux bout de cigare sur le rebord d’une fenêtre, et monta, la tête un peu lourde, chez sa sœur.

    — Eh bien ! mademoiselle, dit-il en entrant, qu’est-ce que c’est ?

    Il n’y avait plus personne dans la chambre.

    — Où es-tu donc? cria-t-il furieux, car il crut à une niche qui portait atteinte à sa dignité.

    — Ici, gémit la tête. Viens vite me chercher, mon petit Paul, je suis bien mal à mon aise sur ce pot à eau.

    — Non, ici, hurla le corps. Je ne peux plus y tenir, le coin de cette chaise m’entre dans les reins.

    — N’allez pas me laisser sous le lit, disait le pied droit.

    — Regardez bien contre la porte, disait le pied gauche.

    Et les mains criaient de toutes leurs forces :

    — Ne nous oubliez pas au moins suis la cheminée. Un autre petit-garçon aurait eu bien peur ; mais Paul ne s’étonna pas, car c’était déjà un esprit fort. Ramassant d’un tour de main les pieds, les mains et la tête

    — Sois tranquille, petite sœur, dit-il d’un ton important; je vais te raccommoder. Ça ne sera pas long, fichtre!

     

    Mademoiselle Sans-Soin - Jean Macé (Contes du Petit-Château)


    C’était un de ces mots, le petit malheureux ! Il le tenait d’un de ses amis, qui le protégeait, un jeune homme de onze ans, rompu depuis longtemps à toutes les délicatesses du beau langage. Et quand on pense qu’il n’y avait pas encore six mois que tous les soirs, avant de se coucher, il promettait au bon Dieu d’être bien sage, en joignant les mains, assis sur les genoux de sa maman ! Mais revenons à l’opération qui devait rajuster les membres épars de la pauvre Sans-Soin.

    Les pieds, la tête et les mains, tout fut bientôt réuni à côté du corps, et, comme M. Paul l’avait dit, l’opération fut bientôt faite. Redressant alors sa sœur sur ses jambes :

    — Voilà! dit-il.

    Mais à peine eut-il regardé son ouvrage qu’il poussa un grand cri.

    La tête était tournée du mauvais côté, la figure au-dessus du dos. Un des pieds, avec sa bottine, pendait au bout du bras droit, et sa jambe allait clochant, portée par une pauvre petite main qui avait l’air tout écrasée.

    — Ah ! Paul ! qu’as-tu fait? s’écria en pleurant la malheureuse Sans-Soin.

    Et comme elle voulait s’essuyer les yeux, la bottine alla donner de la pointe dans les nattes de son chignon.

    L’étourdi restait atterré en présence du désastre dont il était l’auteur ; et il essaya d’abord de réparer le mal en tirant de toutes ses forces sur la tête de sa sœur pour la remettre en place. Mais elle tenait trop bien : il eut beau retourner en tous sens le cou de la petite fille, il ne réussit à rien qu’à la faire crier.

    Mors la douleur et l’effroi triomphèrent de toute sa vaillantise, et il fondit en larmes, en bonnes grosses larmes de véritable petit garçon. Les gens de la maison accoururent à ses cris, et l’on ne sut trouver d’antre remède que d’envoyer chercher un médecin. L’un proposait le docteur Pancrace, qui avait guéri tant de petits enfants, l’autre le célèbre Coupe-Toujours, qui savait si bien faire une opération. Tout le monde parlait à la fois, et l’on tremblait de voir arriver les parents qu’un pareil spectacle aurait pu mettre au tombeau, quand la fée Rangeuse apparut au milieu de la chambre, dans tout l’éclat de sa parure des grands jours.

     

    Mademoiselle Sans-Soin - Jean Macé (Contes du Petit-Château)


    Eh bien ! dit-elle à la pauvre petite, trouves-tu maintenant que la place n’y fait rien, et crois-tu qu’on puisse se fier aux enfants qui méprisent l’ordre ? Que ceci te soit une leçon ! Je te pardonne, parce que tu es une bonne fille que tout le monde aime ; mais rappelle-toi toujours ce qu’il peut en coûter pour ne faire attention à rien.

    Disant cela, la fée la toucha encore une fois de sa baguette, et tout se remit en ordre.

    A la suite de cette effrayante aventure, la petite demoiselle devint si soigneuse et si attentive que la fée Rangeuse en fit sa favorite, et lui fit épouser plus tard un prince beau comme le jour, qui tenait avant tout à voir sa maison bien ordonnée, et qui la choisit autant pour son exactitude en toutes choses que pour sa bonté et sa jolie figure.

    Quant à Paul, il cessa de croire qu’un garçon ne doit rien mettre en place, et, rentré dans son lycée, il n’écouta plus ses amis, quand ils lui disaient des choses qui n’auraient pas plu à sa maman.

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