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Sur le Kon Tiki
En 1947, six jeunes Norvégiens décident de traverser l’Océan Pacifique. Ils pensent, en effet, que des Indiens du Pérou, il y a environ quinze siècles, ont quitté la côté péruvienne sur des radeaux et sont allées peupler les îles de la Polynésie. Ils veulent suivre le même chemin. Construisant un radeau qu’ils nommeront le Kon-Tiki (nom du Dieu-Soleil chez les Indiens) ils quitteront le Pérou et atteindront effectivement les îles Touamotou après un voyage de cent jours, tour à tour dramatique et merveilleux.
1 Dès le premier jour où nous fûmes seuls sur la mer, nous remarquâmes qu’il y avait des poissons autour du radeau, mais nous étions alors trop occupés par la manœuvre de la barre pour songer à pêcher. Le second jour nous entrâmes dans un banc épais de sardine et peu après un requin bleu de huit pieds (2,60 m), roulant sur lui-même, mit en l’air son ventre blanc et vont se frotter contre l’arrière du radeau où Herman et Beng, leurs pieds nus dans l’eau, étaient à la barre. Il joua un moment autour de nous, mais disparut quand nous nous approchâmes le harpon à la main.
2 Le lendemain nous reçûmes la visite de thons, de bonites et de dorades. Un grand poisson volant étant tombé à bord avec un bruit mat, nous l’employâmes comme appât et prîmes aussitôt deux grosses dorades pesant dix à quinze kilos pièce. Nous avions à manger pour plusieurs jours. Pendant nos quarts nous pouvions voir des quantités de poissons que nous ne connaissions même pas et un jour nous nous trouvâmes au milieu d’un important banc de marsouins, qui ne semblait jamais prendre fin. Les dos noirs roulaient, se tassaient les uns près des autres le long du radeau et, si loin que nous puissions voir de la tête du mât, ils sugissaient çà et là sur toute l’étendue de la mer.
3 Plus nous approchions de l’équateur, en nous éloignant de la côte, plus les poissons volants devenaient fréquents. Arrivés enfin dans les eaux bleues où la mer, calme et ensoleillée, se déroulait majestueusement, à peine frisée par de légères bouffées de vent, nous les vîmes briller comme une pluie de fusées qui jaillissaient de l’eau et volaient en ligne droite jusqu’au moment où, leur puissance de vol épuisée, ils disparaissaient sous la surface des flots.
4 Si la nuit nous sortions la petite lampe à pétrole, des poissons volants de toutes tailles, attirés par la lumière, se précipitaient au-dessus du radeau. Ils se heurtaient souvent contre la cabine de bambou ou la voile et tombaient sur le pont, tout perdus. Ne pouvant prendre l’élan qu’en nageant, ils gigotaient impuissants…
Un riche fonds de mets délicieux nous arrivaient ainsi par la voie des airs. Le poisson remplaçait le poulet rôti. Nous les faisions frire pour le petit déjeuner.
Thor Heyerdahl
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