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Le vieux et la vieille (Roger Dévigne)
Le vieux et la vieille, après avoir vécu toute leur vie côte à côte, se disputèrent un jour à propos de rien. Mais chacun s'entêta, voulut avoir raison. Le vieux ne céda pas. La vieille non plus. Comment en sortir ?
« Puisque c'est comme ça, dit-elle, je ne parlerai plus.
— À tes souhaits, ma vieille », dit le vieux.
Le plus fort, c'est qu'elle tint parole.
Elle travaillait de l'aube au soir, dans la maison, comme à son habitude, lavait le sol, trayait la chèvre, soignait les poules, menait l'âne au pré, faisait la soupe, mais elle ne décousait pas le bec.
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Auteur : Roger Dévigne (1885-1965).
Niveau : Niveau 3 (CE2).
Manuel : Giraudin, Vigo, L'Oiseau-Lyre CE2.
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Le vieux et la vieille
1 Le vieux et la vieille, après avoir vécu toute leur vie côte à côte, se disputèrent un jour à propos de rien. Mais chacun s'entêta, voulut avoir raison. Le vieux ne céda pas. La vieille non plus. Comment en sortir ?
« Puisque c'est comme ça, dit-elle, je ne parlerai plus.
— À tes souhaits, ma vieille », dit le vieux.
Le plus fort, c'est qu'elle tint parole.
Elle travaillait de l'aube au soir, dans la maison, comme à son habitude, lavait le sol, trayait la chèvre, soignait les poules, menait l'âne au pré, faisait la soupe, mais elle ne décousait pas le bec.
2 Le vieux demandait ce qu'il lui fallait. Elle le lui tendait sans mot dire. Si des voisins et voisines entraient, elle leur montrait le vieux d'un haussement d'épaules et ne parlait pas.
Cela amusa d'abord beaucoup le vieux. Il affirma qu'il allait enfin être heureux ; que, juste au moment où la vieille avait pris ce sage parti, il allait s'acheter du coton pour se mettre dans les oreilles ; qu'un homme qui a épousé une femme muette connaît déjà, sur terre, le paradis. Et mille autres malices.
3 Il disait cela ; mais le temps finit tout de même par lui sembler long. Il avait beau monologuer à tout bout de champ, parler au chat, au feu, à ses outils, au balai, à la porte et à la serrure, ce n'était tout de même pas la même chose. Et le vieux était tout attrapé de voir que la vieille ne cédait pas.
Quand, un jour, au moment de manger, comme la soupe fumait sur la table, au lieu de tirer son couteau de sa poche et de s'asseoir sur le banc, le voici qui se met — non sans peine — à genoux par terre, soulève le banc, l'examine, le repose. La vieille regarde, mais ne dit rien.
4 Le vieux se relève, sort le tiroir de la table, scrute les cuillers, les fourchettes, le brin de ficelle, et même deux têtes d'échalote qui se trouvaient là. La vieille regarde, mais ne dit rien.
Il va à la huche, au saloir, aux chenets, à la crémaillère. Il remue tout, touche tout, d'un air inquiet. Il va au lit, lève la couette, tire les draps, soulève la paillasse. La vieille, l'œil flambant de curiosité, le regarde, mais ne dit rien.
5 Il prend la chaise rempaillée de neuf, ouvre l'armoire, monte sur la chaise. L'armoire !... L'orgueil de la vieille, avec tout son linge, ses piles de draps bien rangées, avec les robes bien pliées, avec l'habit de mariage du vieux, avec les boîtes de carton où la vieille met sa coiffe, son châle et tous ses souvenirs. La vieille fait un pas, tend le bras, mais ne dit rien.
Le vieux dérange les piles de draps, les prend par brassées, descend de la chaise, les pose sur la huche, revient.
Cette fois, c'en est trop. Et la vieille s'écrie :
« Mais enfin ! Bon sang ! Qu'est-ce donc que tu cherches, mon homme ?
— Ta langue », répond le vieux, qui a gagné.
(ROGER DÉVIGNE, Histoires de la vieille France, Pygmalion)
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