• Le Collier de Vérité - Jean Macé (Contes du Petit-Château)

    Auteur : Jean Macé

    Recueil : Contes du petit château (1862).

    Niveau : 4.

    Genre : Conte.

    Document proposé par Littérature au primaire.

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    Le Collier de Vérité - Jean Macé (Contes du Petit-Château)

    LE COLLIER DE VÉRITÉ

    (Jean Macé, Contes du Petit-Château)

     

    Il était une fois une petite fille qui mentait à faire plaisir. Cela ne parait pas grand-chose à certains enfants de mentir; et un petit mensonge, un gros au besoin, s’il les sauve d’un devoir, d’une punition, s’il leur vaut un plaisir ou s’il leur donne une satisfaction d’amour-propre, leur semble ce qu’il y a de plus légitime au monde. Or, notre petite fille en était là. Pour elle la vérité était une chose qui n’existait pas, et toute excuse était bonne pourvu qu’elle sefît accepter. Longtemps ses parents furent dupes de ses histoires ; mais ils s’aperçurent à la fin qu’elle leur en contait, et dès ce moment ils n’eurent plus la moindre confiance en elle : C’est bien terrible pour des parents quand ils ne peuvent ajouter foi aux paroles de leurs enfants. Mieux vaudrait presque n’avoir pas d’enfants, car l’habitude du mensonge contractée de bonne heure peut les mener plus tard aux fautes les plus honteuses : et comment ne pas trembler quand il faut se dire qu’on les élève peut-être pour le déshonneur ?

    Après avoir essayé inutilement de tous les moyens, le père et la mère de la petite fille résolurent de la conduire à l’enchanteur Merlin, qui était célèbre alors par toute la terre, et qui fut le plus grand ami de la vérité qui ait jamais existé.

    Aussi lui amenait-on de tous les côtés les petits enfants menteurs pour qu’il les guérît. Il habitait dans un palais de verre dont tous les murs étaient transparents, et jamais il n’eut la pensée de déguiser une seule de ses actions, ou de faire croire ce qui n’était pas, ni même de le laisser croire en se taisant quand il aurait fallu parler. Il reconnaissait à l’odeur les menteurs d’une lieue à la ronde ; et quand la petite fille arriva près de son palais, il fut obligé de faire brûler du vinaigre pour purifier l’air, car il se sentait devenir malade.

    La mère, dont le coeur battait bien fort, voulut lui expliquer la vilaine maladie dont sa fille était atteinte, et déjà elle commençait en rougissant un discours un peu confus, la honte lui brouillant les idées ; mais l’enchanteur Merlin l’arrêta dès les premiers mots.

    — Je sais de quoi il s’agit, ma bonne dame. Il y a une heure que je sens venir mademoiselle. C’est une menteuse de première force, et elle m’a fait passer un mauvais moment.

    Les parents reconnurent que la renommée ne les avait pas trompés en prônant le savoir de l’enchanteur, et la petite fille, couverte de confusion, ne savait plus où se mettre. Elle se réfugia dans les jupes de sa mère qui l’abritait de son mieux, effrayée de la tournure que prenait l’entrevue. Le père se mit devant elle pour la protéger à tout risque, car la mine de l’enchanteur n’avait rien de rassurant. Ils avaient bien envie qu’on guérit leur enfant, mais doucement et sans lui faire du mal.

    — Ne craignez rien, dit Merlin en voyant la peur de ces gens, je n’emploie pas la violence pour guérir ces sortes de maladies. Que mademoiselle me permette seulement de lui faire un cadeau qui, je crois, ne lui déplaira pas.

    Il ouvrit une armoire et en tira un magnifique collier d’améthystes admirablement montées, avec une agrafe en diamants, d’une eau incomparable, dont l’éclat éblouissait. Il le passa au cou de la petite fille, et congédiant ses parents d’un geste bienveillant :

    — Allez, dit-il, bonnes gens, et n’ayez plus de soucis. Votre fille emporte avec elle un sûr gardien de la vérité.

     

    Le Collier de Vérité - Jean Macé (Contes du Petit-Château)


    La petite fille, rouge de plaisir, se retirait en toute hâte, bien ravie d’en être quitte à si bon marché, quand l’enchanteur Merlin la rappela.

    — Je viendrai chercher mon collier dans un an, lui dit-il en la regardant avec des yeux qui ne badinaient pas. D’ici là, je vous défends de le retirer une seule minute de votre cou. Si vous l’osiez, malheur à vous

    — Oh ! je ne demande pas mieux que de le garder toujours. Il est si beau !

    Afin que vous le sachiez, ce collier n’était autre que le fameux collier de Vérité dont il est tant parlé dans les vieux livres, qui dévoilait toutes les espèces de mensonges.

    Le lendemain du jour où notre menteuse était rentrée chez elle, on l’envoya à son école, et comme elle avait fait une longue absence, toutes les autres petites filles s’empressèrent autour d’elle, ainsi qu’il arrive toujours en pareil cas. Ce ne fut qu’une exclamation sur la beauté du collier.

    — D’où vient-il? Et toi-même, d’où viens-tu comme cela? lui criait-on de tous côtés.

    Revenir de chez l’enchanteur Merlin, on savait dans ce temps-là ce que cela voulait dire, car il était bien connu pour être le médecin des menteurs. Autant vaudrait dire maintenant, à Paris :

    — Je reviens de Charenton[1].

    Ou à Strasbourg

    — Je reviens de Stephansfeld[2].

    La demoiselle n’eut garde de se livrer ainsi.

    J’ai été bien longtemps malade, dit-elle effrontément et, pour ma convalescence, mes parents m’ont donné ce beau collier.

    Un grand cri se fit entendre, poussé par toutes les bouches à la fois.

    Les diamants de l’agrafe, qui jetaient des feux si vifs, s’étaient éteints tout à coup, et venaient de se changer en verre grossier.

    — Eh bien ! oui, j’ai été malade. Qu’avez-vous à tant crier?

    Sur cette récidive, les améthystes se métamorphosèrent à leur tour en vilains cailloux jaunâtres.

    Au nouveau cri qui s’éleva, voyant tous les regards fixés sur son collier, elle y porta les yeux et frémit d’épouvante.

    — Je suis allée chez l’enchanteur Merlin, dit-elle humblement, car elle comprit d’où partait le coup, et n’osa pas soutenir davantage son mensonge.

    A peine eut-elle confessé la vérité que le collier reprit toute sa beauté ; mais les grands éclats de rire qui retentissaient autour d’elle l’humilièrent à un tel point, qu’elle éprouva le besoin de se réhabiliter.

    — Vous avez bien tort de rire, car il nous a parfaitement reçus, mes parents et moi. Il avait envoyé sa Voiture pour nous chercher à la ville voisine, et vous pouvez croire que c’est une belle voiture. Six chevaux blancs ! et des coussins de satin rose avec des glands d’or ! Sans parler du cocher, un nègre poudré à blanc, et des trois grands laquais qui étaient derrière. Quand nous sommes arrivés à son palais, qui est tout de jaspe et de porphyre, il est venu au-devant de nous dans le vestibule et nous a conduits dans la salle à manger, où l’on nous a servi des choses que je ne veux pas vous nommer, parce que vous n’en avez jamais entendu parler. Il y avait d’abord …

    Les rires, qu’on étouffait à grand’peine depuis qu’elle avait commencé ce beau récit, devinrent en ce moment si bruyants, qu’elle s’arrêta toute interdite, et, jetant encore une fois les yeux sur le malheureux collier, elle eut un nouveau frisson.

    A chaque détail qu’elle inventait, le collier s’allongeait, s’allongeait ; et déjà, sans qu’elle y fît attention, il touchait à ses pieds.

    — Tu nous en dis plus qu’il n’y en a ! s’écrièrent les petites filles.

    — Eh bien ! j’en conviens, nous sommes arrivés à pied, et nous sommes restés cinq minutes.

    Le collier remonta sur-le-champ à son poste.

    — Et le collier, le collier, d’où vient-il?

    — Il me l’a donné sans rien dire, probab…

    Elle n’eut pas le temps d’en dire davantage, le fatal collier se rétrécissait, si bien qu’il lui serrait la gorge horriblement, et que déjà elle tirait la langue.

    — Tu ne nous dis pas tout ! criaient les autres.

    Et elle se dépêcha, pendant qu’elle pouvait encore parler, de leur jeter bien vite ces mots :

    — Il a dit que j’étais une menteuse de première force.

    Délivrée aussitôt du lien qui l’étranglait, elle continua en pleurant de honte et de douleur :

    — C’est pour cela qu’il m’a donné ce collier. Il a dit que c’était un gardien de la vérité, et j’ai été une fière sotte de me réjouir. Me voilà belle maintenant!

    Ses petites compagnes compatirent à sa peine, car, en bonnes filles qu’elles étaient, elles se mettaient à sa place. Vous conviendrez, en effet, que c’est un peu effrayant pour une demoiselle de penser qu’on ne pourra plus jamais fausser la vérité.

    — Tu es bien bonne, lui dit la plus éveillée. À ta place, je n’en ferais ni une ni deux, et j’aurais bientôt envoyé promener le collier. Tout beau qu’il est, il est bien trop gênant. Qui t’empêche de l’ôter ?

    La pauvre petite se taisait ; mais le collier se mit à danser, à danser tant et tant que les pierres, en s’entrechoquant, faisaient un bruit infernal.

    — Il y a quelque chose que tu ne nous dis pas, reprit la bande remise en gaieté par cette danse extraordinaire.

    — C’est une idée que j’ai comme cela de le garder.

    Les diamants et les améthystes dansaient et se heurtaient toujours.

    — Tu as une raison que tu nous caches.

    — Allons, puisqu’on ne peut rien vous cacher, il m’a défendu de l’ôter, sous peine d’un grand malheur.

    Et le collier se calma subitement.

     

    ¾¾¾¾¾¾¾ 

     

    Vous concevez maintenant qu’avec un camarade de ce genre-là, qui se métamorphosait quand on trahissait la vérité, qui s’allongeait quand on y ajoutait, qui se rétrécissait quand on en retranchait, et qui se mettait à danser quand on la taisait, un camarade dont on ne pouvait pas se débarrasser, par-dessus le marché, il n’était plus possible, même à la menteuse la plus déterminée, de ne pas marcher droit dans le chemin de la vérité. Une fois qu’il fut bien entendu pour elle que tout mensonge serait intitule, et qu’on le découvrirait à l’instant même, il ne lui fallut pas un grand effort pour y renoncer. Qu’arriva-t-il ? Quand elle se fat habituée à dire toujours la vérité, elle s’en trouva si bien, elle se sentit la conscience si légère et l’âme si tranquille, qu’elle prit le mensonge en horreur pour lui-même, et que le collier n’avait plus rien à faire â son cou. Aussi, bien avant l’année écoulée, on vit arriver l’enchanteur Merlin, qui avait besoin de son collier pour un autre enfant menteur, et qui savait, grâce à son art, qu’il n’était plus utile là où il l’avait mis.

    Ce qu’est devenu ce merveilleux collier de Vérité, personne n’a pu me le dire. Il paraît qu’à la mort du grand Merlin, les héritiers eurent peur des ravages qu’il pourrait faire sur la terre, et qu’ils le firent disparaître. Je vous laisse à penser quelle calamité ce serait pour bien des gens, je ne parle pas des enfants seulement, si on venait le leur mettre au cou. Des voyageurs qui revenaient du centre de l’Afrique ont raconté qu’ils l’avaient vu sur un roi nègre qui ne savait pas mentir; mais ils n’ont jamais pu le prouver. Toujours est-il qu’on le cherche encore, et si j’étais un petit enfant menteur, je ne serais pas tout à fait rassuré, car on pourrait bien le retrouver.

    Le Collier de Vérité - Jean Macé (Contes du Petit-Château)

     


     

    [1] L’hôpital des fous (sic) à Paris.

    [2] L’hôpital des fous (sic) en Alsace.

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