• La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    Auteur : Jean Macé

    Recueil : Contes du petit château (1862).

    Niveau : 4.

    Genre : Conte.

    Document proposé par Littérature au primaire.

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    La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    LA HACHE ET LE POT-AU-FEU 

    (Jean Macé, Contes du Petit-Château)

     

    Il était une fois un brave bûcheron qui vivait avec sa femme, sa petite fille et son petit garçon, dans une maisonnette qu’il s’était bâtie lui-même au milieu des bois. La femme était alerte et de bonne humeur, encore fraîche malgré ses trente-deux ans, et tenait le pauvre ménage si net et si propre qu’on se serait cru chez des gens riches quand on entrait dans la maisonnette. La petite fille, qui s’appelait Georgette, commençait à aider sa mère. Elle essuyait les assiettes après le dîner, épluchait la salade comme une grande personne, et savait déjà casser très proprement les œufs quand il y avait une omelette à faire. Le petit garçon, qui s’appelait Pierrot, allait au bois avec son père, et il s’amusait encore à chercher des fraises et à faire des bouquets pour sa mère et sa sœur, pendant que le bûcheron attaquait les grands arbres avec sa lourde hache ; en revanche, quand les arbres étaient à terre, il abattait à tour de bras les menues branches avec sa serpette, et fagotait si gentiment que c’était un plaisir. Le bûcheron était grand et vigoureux, vaillant au travail et doux au logis. Bref, tout ce monde vivait heureux, sans demander davantage, et il n’était pas de famille dans tout le pays qui s’endormit le soir en remerciant le ciel d’un meilleur cœur.

    Malheureusement, à la suite d’un été plus chaud que les autres, il survint de vilaines fièvres qui ravagèrent toute la contrée. Partout on n’entendait parler que de morts et de mourants, et la pauvre maisonnette fut atteinte à son tour par le fléau. La femme tomba malade la première ; et elle était étendue sans force dans le lit, regardant d’un œil languissant sa petite Georgette, qui la soignait de son mieux, quand elle vit avec effroi son mari revenir du bois avant l’heure, tout pâle, et s’appuyant sur une épaule de Pierrot : le brave petit garçon portait résolument sur l’autre la lourde hache qui avait échappé aux mains défaillantes de son père, et sous le poids de laquelle il ployait. Le bûcheron se coucha en frissonnant à côté de sa chère malade, et trois jours après, des hommes arrivèrent au matin pour l’emporter : il était mort.

    Quand la pauvre femme vit emporter le corps de son mari, et qu’elle se sentit seule avec ses petits enfants, la tête perdue de douleur, et les membres enchaînés par la maladie, une grande terreur s’empara d’elle. Oubliant sa propre perte, elle s’épouvantait pour ses enfants.

    — Qu’allez-vous devenir, chers agneaux, s’écria-t-elle, maintenant que vous avez perdu votre protecteur, et que moi, misérable, je ne puis rien faire pour vous ?

    Dans ses alarmes, la tendre mère s’indignait presque contre elle-même du mal qui la réduisait à l’impuissance.

    — Ne crains rien, maman, s’écria Pierrot en essuyant les larmes qui coulaient en abondance de ses yeux. Je suis maintenant un homme, et je sais faire les fagots. C’est moi qui vous nourrirai toutes les deux.

    Et roidissant ses petits bras, il appelait à son secours toute la force qu’il n’avait pas.

    — Et moi, dit Georgette en se haussant jusqu’à l’oreiller, et prenant dans ses deux mains la tête de sa mère, qu’elle couvrit de baisers, et moi je sais faire le ménage ! Reste malade tout à ton aise, chère petite mère, j’aurai soin de tout pour toi.

    La malade sourit tristement, car elle voyait bien que les pauvres petits n’étaient pas en état de faire ce qu’ils promettaient ; mais leur courage et leur bon vouloir remplirent bientôt son cœur d’une douce consolation qui la reposa de ses souffrances et de ses chagrins. Épuisée par les horribles nuits qu’elle venait de passer, elle céda à l’influence de cet instant de repos, et s’endormit paisiblement sous les baisers de Georgette.

    Dès qu’il vit sa mère endormie, Pierrot prit sa serpette et sortit sur la pointe du pied. Il voulait commencer sans plus tarder son rôle de protecteur de la famille. Il marcha droit à l’arbre que son père venait d’entamer quand le mal l’avait saisi, brandit sa serpette d’un air déterminé, et se mit à l’ouvrage avec ardeur. Il avait d’abord le coeur bien gros en frappant sur les dernières entailles faites par la grande hache ; mais un autre sentiment ne tarda pas à s’emparer de lui. Il avait beau frapper ; la serpette, qui faisait un si bel ouvrage avec les menues branches, n’avançait à rien sur ce gros tronc noueux. De temps en temps un petit éclat de bois volait en l’air, mais il n’y paraissait pas ; et Pierrot, déjà tout en sueur, se sentait découragé jusqu’au fond de l’âme, sans renoncer pourtant à son entreprise.

    — J’y mettrai tout le temps qu’il faudra, se disait-il ; mais j’en viendrai à bout.

    De son côté, Georgette avait pris en main la direction du ménage. Le premier coup d’œil jeté autour de la chambre lui révéla toute l’immensité de sa tâche. Depuis que sa mère gardait le lit, tout était resté à l’abandon. Une épaisse couche de poussière couvrait les meubles. Elle commença par les essuyer, et ne s’en tira pas trop mal, à cela près qu’une bonne moitié de la poussière, celle qui s’était logée dans les fentes et dans les coins, échappa aux allées et venues de son torchon ; mais pour un commencement, il n’y avait pas trop à dire. Puis elle songea à laver la vaisselle sale qui s’était accumulée durant tous ces jours au pied du buffet. A défaut d’eau chaude, elle prit au ruisseau qui coulait devant la porte un baquet de belle eau claire qui enleva tant bien que mal le plus gros de l’affaire, et, à force de frotter avec la lavette, elle s’en tira assez passablement. Jusque-là tout allait bien. Mais il lui vint à l’idée que Pierrot reviendrait le soir du bois, et qu’il lui faudrait dîner. Grand embarras pour la petite fille qui n’avait jamais fait de cuisine ! Pour rien au monde elle n’aurait voulu réveiller sa mère qui dormait d’un si bon sommeil. En furetant dans le buffet, elle y trouva un morceau de viande que son père était allé chercher le matin du jour fatal où la fièvre l’avait pris, et se mit en tête de préparer un pot-au-feu, comme elle l’avait vu faire bien des fois à sa mère, sans trop chercher, il est vrai, à se rendre compte, ainsi qu’il arrive aux enfants. Allumer le feu, ce fut bientôt fait. Mettre la viande dans la marmite remplie d’eau, et la marmite sur le feu, ce n’était pas non plus bien difficile. Mais cela fait, la pauvre Georgette resta là devant son pot-au-feu, qu’elle regardait d’un air penaud, se recommandant à Dieu : elle était au bout de sa science.

    Juste en ce moment les bonnes fées tenaient leur conseil dans un grand nuage doré d’où elles examinaient tout ce qui se passait sur la terre, cherchant les méchantes gens à punir, et les bons petits enfants qui pouvaient avoir besoin de leur aide. Elles aperçurent Pierrot s’escrimant de son mieux sur son gros arbre, et Georgette en contemplation devant sa marmite.

      Laisserons-nous ainsi ces chers enfants dans l’embarras, dit la vieille fée qui présidait l’assemblée. Ils n’ont écouté que leur cœur pour commencer ; aidons-les à finir.

    Aussitôt deux des plus jeunes fées se laissèrent glisser du haut du nuage doré, et le pauvre Pierrot, qui n’en pouvait bientôt plus, aperçut tout à coup devant lui une jolie petite chienne, la plus petite et la plus jolie qu’il eût jamais vue. Elle était noire, avec de longs poils plus fins que la soie, et une tache de feu qui courait le long de son museau. Ce museau, une merveille de délicatesse, se terminait en pointe effilée, et laissait voir une double rangée de dents aiguës, d’une blancheur éblouissante. Elle caracolait devant Pierrot, en chienne qui veut faire amitié, et levait en l’air ses jambes de devant, sveltes et mignonnes, qu’on aurait prises pour deux ressorts d’acier, tant il y avait de force et de souplesse dans leurs mouvements. Elle lui rappela dans ses bonds une petite chienne, nommée Finette, qu’avait eue son père, et avec laquelle il avait fait jadis bien des parties.

    — Je vois bien que tu es gentille, ma pauvre Finette, dit-il avec un soupir ; mais il faut me laisser travailler : je n’ai pas le temps de jouer avec toi.

    — Oh ! ne crains pas que je te dérange de ton travail, dit la chienne. Je viens pour t’aider, au contraire.

    — Ce n’est pas de refus ; j’en ai bon besoin. Vois ce gros arbre qu’il faut que j’abatte avec ma serpette : c’est moins facile que je ne le pensais.

      Eh bien ! j’y perdrai mon nom de Finette, ou nous en viendrons à bout. Commence par me jeter cet outil de rien du tout, et regarde un peu au pied de ton arbre.

    Avant de jeter la serpette Pierrot regarda, et il demeura tout interdit en apercevant une grande hache qui paraissait encore plus lourde que celle de son père.

     

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    — Eh ! ma chère Finette, qu’est-ce que tu veux que je fasse de cette hache ? C’est à peine si je pourrai la lever au-dessus de ma tête.

    — Essaye !

    Et la petite chienne sauta après la serpette, comme si elle eût voulu la lui arracher des mains.

    Pierrot, qui ne reculait jamais devant la fatigue, ramassa bravement la hache, et la soulevant avec un grand effort, la laissa retomber sur l’arbre. Du premier coup elle enleva, comme un rabot, toutes les déchiquetures dont le haut de la fente était hérissé, et abattit un gros copeau bien net, qui parut quelque chose d’admirable au petit bûcheron. Le second coup alla encore mieux, et le courageux garçon s’aperçut bientôt, en redoublant ses efforts, qu’ils devenaient moins pénibles à chaque coup. Le manche massif, qu’il avait eu d’abord bien de la peine à enfermer dans ses deux mains, allait toujours en s’amincissant entre ses deux doigts. Le fer aussi s’amenuisait, et lui paraissait de plus en plus léger; et en même temps le tranchant s’effilait toujours davantage : jamais fer de hache n’avait si bien coupé. Finette gambadait autour de Pierrot, et à chaque fois qu’elle le touchait de la patte, ou de la queue, il se sentait devenir plus fort; ses coups étaient plus vigoureux et mieux dirigés, et les copeaux pleuvaient comme grêle tout autour de lui. En moins d’une heure, l’arbre traversé presque d’outre en outre se pencha en arrière avec un horrible craquement. Pierrot n’eut que le temps de se jeter de côté, et le géant renversé par cette petite main qui lui avait semblé d’abord si peu dangereuse, tomba lourdement à terre, écrasant les buissons sous sa chute, et couvrant de ses branches un vaste espace de terrain.

    Aussitôt, sur un jappement de Finette, parut un petit nain, pas plus haut qu’une botte. Il ramassa la serpette avec laquelle il commença à frapper sur les branches qui jonchèrent le sol en un clin d’œil. D’énormes fourmis, sorties tout à coup du milieu des herbes, tirèrent de tous les côtés sur les branchages qui s’amoncelèrent comme d’eux-mêmes en fagots; et Pierrot émerveillé sautait de joie, en caressant Finette qu’il avait prise dans ses bras.

    — S’il n’en coûte pas plus, s’écria-t-il quand il eut repris haleine, j’en abattrai bien un autre.

    Et levant de nouveau sa chère hache qui avait pris le poli d’un rasoir, il en frappa un second arbre, encore plus gros que le premier, dans lequel elle entra comme dans du beurre.

    Pendant ce temps il se passait aussi quelque chose d’extraordinaire dans la maisonnette. La pauvre Georgette s’était accroupie devant le feu, et, ne sachant mieux faire, elle y entassait bûche sur bûche c’est ce qui manque le moins dans la maison d’un bûcheron. Déjà l’eau faisait entendre ce bruissement particulier, si connu des cuisinières, qui sort des marmites quand elles s’apprêtent à, bouillir. Georgette était tout yeux et tout oreilles. Un ron-ron très accentué appela ailleurs son attention, et une tête blanche, avec des yeux verts, vint se frotter contre sa main. C’était un gros chat blanc, de toute beauté, qui venait d’entrer sans cérémonie par un carreau ouvert, et qui se prélassait dans la chambre comme s’il eut été chez lui.

    Elle le caressa sur le front, à l’endroit où les chats aiment à être grattés.

    — Ah ! mon pauvre Mouton, lui dit-elle (Mouton était le nom d’un petit chat quelle avait beaucoup aimé, et depuis qu’il avait disparu, elle appelait Mouton tous les chats qu’elle voyait), ah ! mon pauvre Mouton, tu me vois bien embarrassée !

    — Je suis venu ici pour te tirer d’affaire, répondit le chat en s’asseyant devant elle, et faisant aller sa queue, par petites saccades, à droite et à gauche.

    Toi! me tirer d’affaire ! reprit Georgette en riant, et comment t’y prendras-tu? J’ai à faire un pot-au-feu pour mon frère Pierrot qui est au bois. Les chats n’y entendent rien.

    Que je ne m’appelle plus Mouton si je ne te sors pas de là. Et d’abord défaisons ce feu à rôtir un bœuf, qui nous gâterait tout. Un pot-au-feu demande à être mené plus doucement.

    Joignant l’action aux paroles, Mouton frappa légèrement du bout de sa patte ce grand amas de bûches qui s’affaissa aussitôt, et s’enterra dans les cendres rouges d’où sortait une petite flamme de braises, aussi douce et tranquille qu’une mariée qui s’en va à l’église.

    — Voyons maintenant si tu n’as rien oublié.

    Le bout de la patte effleura délicatement l’eau qui commençait à bouillotter, et une petite langue rose lécha les gouttes qui s’étaient suspendues aux poils.

    — Il paraît que nous n’avons pas pensé au sel.

    Georgette rougit jusqu’à la racine des cheveux. Elle n’avait pas pensé au sel.

    Quand cette grave omission fut réparée, le chat promena ses regards dans toute la chambre.

    — Ce n’est pas trop mal essuyé, dit-il ; mais on pourrait faire mieux.

    A l’instant douze petites souris blanches grimpèrent sur les meubles, chacune portant à la patte droite de devant un carré de flanelle de la grandeur d’une carte de visite. Elles se glissèrent dans tous les coins, trottèrent le long de toutes les fentes, et frottèrent si bien partout que, quand elles se furent retirées, tout semblait remis à neuf dans la maisonnette.

    Georgette était dans le ravissement.

    — Ah ! mon cher petit Mouton, fit-elle en serrant le gros chat blanc sur son cœur, que je te suis donc reconnaissante de m’avoir si bien montré! C’est comme cela que je veux faire demain. Maman sera bien contente. En parlant ainsi elle regardait du côté de sa mère qui dormait toujours d’un sommeil profond. Dans l’excès de sa joie, elle courut baiser une main de la malade qui pendait hors du lit ; puis elle revint à son pot-au-feu qu’elle avait oublié de surveiller pendant que les souris blanches faisaient leur nettoyage Elle recula d’effroi. Un je ne sais quoi de grisâtre et boursouflé, d’un fort vilain aspect, couvrait toute la surface de la marmite.

    — Mouton, dit-elle presque pleurant, mon pauvre Mouton, viens vite voir ! Voilà notre pot-au-feu qui s’est tout sali !

     

     

    La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    Mouton s’approcha du feu, et se dressa sur ses pattes de derrière.

    — Ne t’afflige pas, dit-il ; il s’est nettoyé au contraire. Il faut enlever cela bien proprement. Ce sont toutes les ordures du sel et de la viande qui demandent à s’en aller.

    Et lui montrant une charmante écumoire d’argent avec un manche en ébène, qui venait de s’accrocher toute seule au clou de la cheminée, il lui enseigna d’un geste la manière de s’en servir.

    Quand le pot-au-feu fut bien écumé, Mouton conduisit Georgette au petit jardin que le bûcheron avait établi derrière sa maison. Elle lui fit tirer de terre deux belles carottes, un navet, quatre poireaux qui, bien lavés et ratissés, attachés ensemble par un grand bout de fil dans un petit bouquet de persil, furent descendus doucement au fond de la marmite, avec une tête de chou frisé qui dansait à la surface où les bouillons de l’eau la faisaient sans cesse remonter.

    — Est-ce tout? demanda Georgette à son chat.

    — Il faut faire les choses jusqu’au bout, répondit le chat, qui, sautant sur ses genoux, y déposa un tout petit oignon brûlé. — Mettez-y encore cela Pour donner de la couleur au bouillon, et ensuite nous attendrons tranquillement le frère Pierrot en mettant le couvert.

    Cependant le soir approchait. Le roi Pétrus chassait ce jour-là dans la forêt qui était à lui, et où il entretenait toutes espèces de gibier connues, sauf pourtant les mauvaises bêtes, car il aurait été désolé qu’il arrivât malheur à un de ses sujets à cause de lui. C’était le meilleur bonhomme de roi qu’un peuple pût désirer, si ce n’est qu’il était trop entiché de sa couronne, au point de la garder sur sa tête quand il allait à la chasse, et qu’il se croyait un peu fait d’une autre pâte que le reste des hommes Mais la sienne était si bonne que personne ne pouvait lui en vouloir.

    Cet excellent roi se trouvait dans un grand embarras pour le quart d’heure. S’étant laissé emporter à la poursuite d’un chevreuil par son grand chien Phanor, un animal plein d’ardeur, il avait abandonné sa suite qui courait sur une autre piste, et comme les princes ne sont pas tenus de savoir les chemins puisqu’on les conduit toujours, il n’avait pas tardé à se perdre de façon à ne plus savoir où il allait. Il voyait avec terreur le soleil descendre rapidement sur l’horizon, non pas qu’il eût peur d’une nuit passée dans les bois, c’était un brave ; mais parmi les prérogatives de sa couronne, une de celles qu’il prisait le plus, c’était la régularité de ses repas, et l’heure de son dîner s’avançait sans qu’il pût entrevoir le moyen d’aller le rejoindre à temps. Tout bon qu’il était, il tempêtait comme un mécréant, et jurait à cœur joie après l’impétueux Phanor qui, plein d’insouciance pour les augustes colères, bondissait le nez au vent dans les fourrés, et courait plutôt après le chemin des lièvres qu’après celui du palais.

    Le bruit des coups de hache, qui retentissaient au loin dans le silence de la forêt, conduisit le monarque errant, jusqu’à la place où notre Pierrot achevait d’abattre son quatrième arbre. Le seigneur Phanor qui allait en avant, avait commencé par tomber en arrêt sur Finette, qu’il semblait vouloir assommer d’un coup de sa grosse patte. Mal lui en prit, car Finette, lui sautant au nez, y planta ses crocs d’une façon si déterminée; qu’il se rejeta en arrière en hurlant de douleur. Pierrot, qui accourait la hache haute au secours de sa petite amie, Pierrot s’arrêta court quand il vit le roi paraître entre les arbres : il était facile à reconnaître avec sa couronne sur la tête.

    — Tudieu! mon gaillard, fit la tête couronnée, comme nous y allons! Ce drôle-là ne vaut pas cher; mais il est à moi : je ne permets pas qu’on y touche.

    — Que Votre Majesté ne se fâche pas après moi, dit respectueusement Pierrot. Je ne savais pas que c’était son chien, et je défendais ma chienne.

    — C’est bien, garçon, n’en parlons plus. Où suis-je, ici?

    — Dans la coupe des Grands-Bossons, à deux pas de la mare aux Osiers.

    — Au diable soit cet enragé de Phanor ! Il m’a emmené juste à l’opposé de mon chemin. Et toi, petit, que fais-tu là ?

    Je suis le fils de votre bûcheron qui demeurait contre le ruisseau des Vinettes, et j’achève l’ouvrage qu’on avait donné à mon père.

    — Comment cela ? Est-ce qu’il serait parti sans rien dire ?

    — II est mort hier, sire.

    Et l’enfant rassembla tout son courage pour retenir deux grosses larmes qui roulaient dans ses yeux.

    — Pauvre cher petit! dit le bon roi avec compassion.

    Sa couronne l’empêchant de se baisser sur l’enfant, il le haussa jusqu’à sa bouche et l’embrassa tendrement sur les deux joues.

    — Ah çà! poursuivit-il qui a fait tout cet ouvrage?

    Une quantité prodigieuse de fagots était rangée en tas le long des troncs gigantesques, et les éclats de bois jonchaient le sol de tous les côtés.

    — C’est moi, sire, depuis ce matin. Il est vrai que l’on m’a aidé pour les fagots.

    — Toi, petit ? Tu ne voudrais pas te moquer de moi !

    — Oh ! sire, il ne faut pas vous étonner. J’ai une si bonne hache.

    Le roi Pétrus eut la fantaisie d’essayer cette hache merveilleuse avec laquelle un enfant avait pu faire tant d’ouvrage dans sa journée. C’était un des faibles de ce digne monarque d’aimer à faire montre de ses muscles partout où il en trouvait l’occasion. Large d’épaules, et haut monté sur jambes, il aurait pu, de fait, remplacer avantageusement un portefaix de force ordinaire, et comme il ne rencontrait jamais que des jouteurs complaisants, il en était arrivé à se croire un des hommes les plus forts qu’il y eût sur la terre. Dans ses moments de gloriole, il se comparait volontiers à Charlemagne, qui d’une seule main, dit l’histoire, levait de terre un chevalier tout armé. Se figurant donc qu’il allait émerveiller Pierrot, et mettre l’arbre à bas du premier coup, il saisit la hache qui avait l’air d’un joujou dans les mains de l’enfant. Mais elle reprit sa taille et son poids dans les siennes, et comme il n’avait pas l’habitude de manier de semblables outils, le coup qu’il asséna de toute sa force porta si bien à faux que la hache lui échappa des mains, et qu’il faillit tomber à la renverse. La couronne en branla si fort que, s’il n’y avait p.as porté immédiatement la main, elle allait rouler dans les copeaux.

    Un autre roi ne l’aurait jamais pardonné à Pierrot; mais le roi Pétrus n’était pas homme à nourrir un mauvais sentiment. Il fut le premier à rire de sa mésaventure; mais il avait beau rire, il était piqué.

    — Tu appelles cela une bonne hache! dit-il, avec un peu d’amertume. Eh bien ! fais-moi le plaisir de te remettre à la besogne. Je suis curieux de la voir fonctionner entre tes mains.

    Mon Pierrot, hardi comme un page, reprit gaîment sa hache qui se rapetissa aussitôt, et en quatre coups il eut achevé le compte de l’arbre, qui s’inclina, craqua et fit trembler la terre sous le poids énorme de sa chute.

    La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    Le brave roi ne se possédait plus d’admiration.

    — Tu peux te vanter, mon garçon, s’écria- t-il, de n’avoir pas ton pareil. Tu vas venir avec moi ; je yeux t’emmener à ma cour.

    Cette proposition prenait Pierrot à l’improviste. Il se tourna vers Finette, comme pour lui demander conseil.

    Mais les animaux-fées ne veulent parler aux enfants que quand ils sont seuls avec eux. La petite chienne se contenta de battre de sa queue les jambes de l’enfant qui trouva sur-le-champ sa réponse.

    — Et vous, dit-il en riant, ne voudriez-vous pas quitter votre cour pour venir chez moi ?

    — Mauvais plaisant, répondit le monarque dont les sourcils se froncèrent involontairement; à ma cour, je suis un grand roi, et chez toi, je ne serais plus qu’un grand bûcheron.

    — Et moi, fit maitre Pierrot, à votre cour, je ne serais phis qu’un petit bûcheron, et ici je suis un petit roi.

    Il sauta en même temps sur le plus gros des arbres renversés, et parcourut d’un regard de triomphe les lieux témoins de ses exploits.

    Le roi Pétris entendait la plaisanterie, et l’heure de son dîner était déjà passée.

    Tu es un brave petit garçon qui as le mot pour rire, dit-il d’un ton de bonne humeur. Emmène-moi chez toi, puisque tu en as parlé, et, s’il s’y trouve quelque chose à manger, nous nous mettrons à table ensemble.

    Tout joyeux d’un si grand honneur, Pierrot ne se le fit pas dire deux fois. Il jeta sa hache sur son épaule et ils partirent d’un bon pas causant ensemble comme deux camarades. Le beau Phanor, qui avait flairé une supériorité dans Finette, faisait l’aimable devant elle, tout chien de cour qu’il était, et ne craignit pas de compromettre sa supériorité avec une chienne de bûcheron.

    Ils étaient encore à plus de vingt-cinq pas de la maison, qu’une délicieuse odeur de pot-au-feu vint chatouiller agréablement le nez du bon roi, dont l’appétit avait achevé de s’aiguiser pendant le trajet.

    — Oh! oh ! dit-il, petit, il paraît, qu’on se nourrit bien chez toi. Je n’ai pas eu une mauvaise idée de m’inviter.

    Pierrot, qui avait réfléchi, chemin faisant, n’était pas sans appréhension sur le dîner qu’il pourrait offrir à son royal convive. Quelle fut sa surprise, en entrant dans la maisonnette, d’y trouver table mise, avec du linge parfaitement propre, des verres et des assiettes qu’il ne reconnaissait plus, tant ils brillaient, et une grande soupière où fumait ce succulent potage qui se faisait sentir de si loin.

    La mère, assise dans son lit les cheveux remis en ordre, et avec une camisole bien propre, achevait de boire, à petites gorgées, une tasse de bouillon que le gros chat lui avait fait passer dans un joli petit morceau de batiste, pour enlever la graisse, en recommandant bien à Georgette de le couper d’eau.

    Le premier mouvement de joie passé, le garçon se jeta sur une chaise, et se mit à pleurer à chaudes larmes.

    Qu’as-tu, bon Dieu ! mon petit Pierrot ? s’écria Georgette courant à lui. Est-ce que tu n’es pas content du beau dîner que je t’ai préparé ?

    Oh si! je suis content ! mais je viens de penser à papa qui aurait tant de plaisir s’il était avec nous.

    — Viens m’embrasser, cher petit, dit la mère de son lit. Toi et ta sœur, vous êtes deux bons enfants qui me rendez bien heureuse, et votre père le voit bien sûr d’où il est.

    Et ces trois innocentes créatures, s’unissant dans un triple baiser, confondirent pieusement leurs larmes qui allèrent réjouir le mort dans sa nouvelle demeure.

    Jusque-là personne n’avait fait attention au roi Pétrus, et le bon roi ne s’en offusquait pas il avait plus envie de pleurer que de se fâcher. Quand il jugea que ses hôtes avaient suffisamment épanché leur douleur, il fit un pas en avant.

    — Je prends part à votre peine, mes bons amis, dit-il d’une voix émue.

    Puis, regardant, la soupière d’un œil d’envie il ajouta:

    — Voulez-vous me permettre de partager aussi votre dîner ?

    La mère jeta un cri de joyeuse surprise en voyant le roi chez elle, et Pierrot, se confondant en excuses, allait réclamer un troisième couvert, quand il s’aperçut qu’il était déjà mis. C’était Mouton qui l’avait voulu, et Georgette avait obéi sans demander d’explication.

    Il n’y avait donc plus qu’à se mettre à table, et pendant que les deux enfants se racontaient mutuellement l’histoire de leur journée, le roi Pétrus, qui écoutait tout sans perdre une bouchée, se servit coup sur coup trois grandes assiettées de la meilleure soupe qu’il eût mangée de sa vie.

    Quand il eut fini, il prit, à son tour la parole, en repassant sa langue sur ses lèvres.

    — Puisque vous êtes des enfants si favorisés, dit-il, je veux me mettre aussi de la partie. Toi et ton chat, petite, vous êtes bien à vous deux les plus fameux cuisiniers que j’aie jamais rencontrés. Venez dans mon palais : je veux vous mettre à la tête du service de mes cuisines.

    Aller dans le palais du roi, c’était une perspective bien séduisante pour une petite fille !

    — Pourrai-je emmener avec moi ma mère et Pierrot ? répondit timidement Georgette.

    Le chat blanc sauta en grondant sur le lit, et Finette se serra contre les jambes du petit garçon.

    — Et ton père, mon enfant, s’écria douloureusement la mère, pourras-tu aussi l’emmener avec toi ?

    — Il faut nous excuser, sire, dit Pierrot les larmes aux yeux ; mais nous avons là quelqu’un qui ne peut plus s’en aller d’ici, et qui s’ennuierait si nous le laissions tout seul.

    — Eh bien ! il ne sera pas dit que je n’aurai rien fait pour d’aussi braves gens. Toi, mon brave petit bûcheron, tu auras la haute main sur toutes les coupes de ma forêt, et tâche de ménager un peu ta hache, car tu l’aurais bientôt abattue d’un bout à l’autre.

     

    La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    C’était le pain assuré pour toujours à la pauvre famille, sans l’enlever à ses habitudes de vie laborieuse. Finette vint caresser le bon roi qui lui rendit ses caresses, et Mouton, s’étant élancé d’un bond sur son épaule, frotta familièrement sa moustache contre la moustache royale.

    Au même instant la porte s’ouvrit, et les courtisans du roi, qui le cherchaient partout, poussèrent de grands cris de joie en l’apercevant. Ils racontèrent plus tard qu’une force secrète les avait entraînés de ce côté-là sans qu’ils pussent s’expliquer pourquoi. Le roi Pétrus s’en alla avec eux, le coeur content et l’estomac en repos, emportant les bénédictions de toute la famille.

    Finette et Mouton s’endormirent ce soir-là au coin du feu, couchés en rond dans les pattes l’un de l’autre. Mais le lendemain matin, ils avaient disparu. Pierrot et Georgette, en s’éveillant, virent à leur place deux jeunes dames d’une beauté merveilleuse, qui tenaient chacune une clef à la main.

    — Tenez, dirent-elles aux enfants en leur donnant les clefs, voici pour le jour où vous vous marierez. Continuez de bien travailler et de rendre votre mère heureuse, et le ciel veillera sur vous.

    Puis elles remontèrent dans le beau nuage doré où elles étaient attendues pour rendre compte de leur mission.

    Les deux enfants se précipitèrent hors de la porte, et les suivirent de l’œil le plus loin qu’ils purent, et quand ils ramenèrent leurs regards sur la terre, ils aperçurent à leur grand étonnement deux jolies petites maisons qui s’élevaient à droite et à gauche de la maisonnette paternelle. Ils essayèrent leurs clefs qui ouvrirent très bien les portes, et, étant entrés chacun dans sa maison, ils y trouvèrent tout ce qu’il fallait pour un ménage. Dans la maison de Pierrot il y avait un assortiment complet de tous les outils nécessaires à un homme qui vit dans les bois, et dans celle de Georgette une batterie de cuisine, dont les cuivres reluisaient si bien au soleil qu’on aurait juré voir des casseroles en or.

    Ils s’établirent là dedans le jour de leur mariage. Pierrot épousa la fille du meunier, qui était la plus avenante et la plus vertueuse fille de tout le pays, et Georgette un jeune bûcheron, aussi fort et aussi bon que l’avait été leur père, et le plus beau garçon qu’il y eût â dix lieues à la ronde. Ils eurent tous les deux de jolis enfants qui venaient danser tous les jours sur les genoux de la vieille grand’mère, et quand celle-ci alla rejoindre son cher défunt, elle quitta la vie en remerciant le ciel de tout le bonheur qu’il lui avait donné.

    Pierrot, sur ses vieux jours, jouissait d’une telle considération parmi tous ses voisins, qu’il fut nommé maire du village d’où dépendaient les maisonnettes, et vous conviendrez qu’un homme d’une ambition raisonnable peut mourir content quand il en est arrivé là.

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