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La fête chez le petit vieux et la petite vieille
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Il y avait un petit vieux et une petite vieille qui habitaient dans une petite maison.
Ils avaient été, toute leur vie, si charitables, ils avaient tant de fois secouru les malheureux, qu'ils étaient devenus eux-mêmes très pauvres.
Ils ne possédaient plus que leur petite maison très vieille, un petit âne très vieux dans une petite écurie, une petite miche dans le buffet, une petite bûche dans le bûcher et un petit bout de chandelle dans le chandelier. Ah ! J'allais l'oublier ! Ils avaient aussi trois gouttes de pétrole au fond d'une lampe. Malgré leur pauvreté, ils étaient restés très gais. Tant que durèrent les beaux jours, ils ne se trouvèrent pas à plaindre. Mais, après la Toussaint, les jours devinrent courts et les premiers froids se firent sentir.
Un soir — c'était le 3 novembre, — il faisait noir dans la maison et il y faisait froid. Le petit vieux, qui avait de mauvais yeux, aurait voulu de la lumière pour lire son journal. La petite vieille, qui était frileuse, aurait voulu du feu. Le petit vieux, en marchant pour se réchauffer, donna du nez contre la pendule. Il dit :
« Bonne femme ! Allume ta lampe ! »
Mais la petite vieille lui mit ses doigts glacés dans le cou, ce qui le fit sursauter ; et elle dit, à son tour : « Allume ton feu, petit vieux ! » Mais ils ne voulaient allumer ni feu ni lumière, afin de ménager leur petite bûche et leurs trois gouttes de pétrole. Alors ils furent un peu tristes et allèrent se coucher.2
Il y eut, pendant la nuit, une grande tempête. Une pluie glacée tomba par torrents.
Le petit vieux et la petite vieille dormaient profondément, lorsqu'ils furent réveillés en sursaut : quelqu'un frappait à leur porte.
« Qui est là ? demanda le petit vieux.
— C'est un voyageur égaré ! Ouvrez, par charité ! »
Le petit vieux et la petite vieille sautèrent à bas de leur lit et ils ouvrirent leur porte au voyageur égaré.
Les vêtements du voyageur étaient trempés ; ses dents claquaient. La petite vieille alluma sa lampe et courut chercher la miche. Le petit vieux courut prendre la bûche au bûcher.
Le voyageur dit :
« Je ne veux ni manger ni me chauffer et je n'ai pas besoin de lumière, car mon journal est en bouillie dans ma poche. Mais laissez-moi me coucher, par charité ! »
Le petit vieux et la petite vieille lui cédèrent leur lit et ils allèrent se coucher avec l'âne, dans l'écurie.
Le lendemain matin, l'étranger dit :
« J'ai beaucoup voyagé, mais je n'avais jamais trouvé de gens aussi charitables. »Il ajouta :
« Si je ne m'étais pas réchauffé dans votre lit, je serais tombé malade. Vous m'avez peut-être sauvé la vie !... Je ne veux pas me montrer ingrat. Je suis maître maçon : je bâtirai
une maison, pour remplacer la vôtre, qui est sur le point de s'écrouler ! »
Et, en effet, dès le lendemain, l'étranger revint avec de nombreux ouvriers. En très peu de temps, il bâtit une maison en ciment armé ; il bâtit aussi une écurie pour le vieil âne.3
Le petit vieux et la petite vieille eurent ainsi une belle maison et, leur âne, une belle écurie. Mais, dans la maison, il n'y avait encore qu'une petite miche, une petite bûche, un petit bout de chandelle. Ah ! J'allais l'oublier ! Il y avait un peu de pétrole au fond d'une lampe : il n'en restait plus que deux gouttes. Le petit vieux et la petite vieille se couchaient dès le crépuscule pour économiser leurs deux gouttes de pétrole.
Or, une nuit, ils entendirent appeler au secours. Ils sautèrent aussitôt à bas de leur lit et, prenant à peine le temps de se vêtir, ils coururent vers l'endroit d'où partaient les cris.
C'était un automobiliste qui appelait au secours. Sa voiture était les roues en l'air, au fond d'un grand fossé. L'automobiliste était prisonnier dans sa voiture renversée.
Le petit vieux et la petite vieille, après de grands efforts, réussirent à le tirer de là, et ils l'emmenèrent dans leur maison pour attendre le jour.
La petite vieille alluma la lampe et alla chercher la miche. Le petit vieux courut prendre la bûche au bûcher. Quand la bûche fut allumée, ils prirent le temps de se vêtir. L'automobiliste ne toucha point à la miche, mais il se chauffa avec plaisir. Quand la bûche fut brûlée, il dit :
« Je me chaufferais bien encore ! »
Le petit vieux baissa la tête et il avoua :
« Nous n'avons plus de bois. »
L'automobiliste s'écria :
« Vous n'aviez qu'une bûche et vous l'avez brûlée pour moi ! Eh bien ! vous n'avez pas rendu service à un ingrat ! Je suis fumiste et j'installe des appareils de chauffage. Je veux que vous n'ayez plus jamais froid ! »
Au point du jour, il s'en alla. Mais il revint peu de temps après avec des ouvriers. Il amenait du bois pour les cheminées et du charbon, avec des appareils pour le brûler. Et, en outre, il installa tout ce qu'il fallait pour le chauffage central de la maison.4
Le petit vieux et la petite vieille n'avaient plus jamais froid dans leur belle maison ; mais ils n'avaient toujours qu'une petite miche et un petit bout de chandelle. Ah ! J'allais oublier le pétrole ! Il n'en restait qu'une goutte au fond de la lampe. Pour économiser le pétrole, ils se couchaient en même temps que les poules. Or, il arriva qu'une nuit, ils entendirent crier sur la route :
« Au voleur ! Au voleur ! »
Le temps de sauter à bas du lit, de se vêtir à moitié et de chausser leurs sabots et voilà le petit vieux et la petite vieille courant au secours de celui qui appelait...
C'était un voyageur qui portait une sacoche pleine d'argent. Des voleurs l'avaient arrêté et voulaient lui enlever la sacoche. Le petit vieux et la petite vieille n'avaient point d'armes et ils n'étaient pas forts du tout ; mais ils menaient grand bruit en courant sur la route avec leurs sabots.
Les voleurs crurent que c'étaient les gendarmes qui arrivaient. Ils se sauvèrent. Le voyageur dit au petit vieux et à la petite vieille :
« Vous avez sauvé ma bourse et peut-être ma vie ! »
Il les suivit et se réfugia dans leur maison. La petite vieille mit la miche sur la table et alluma la lampe. Le petit vieux qui, de sa vie, n'avait jamais fait peur à personne,
était content d'avoir effrayé les voleurs. Il riait dans sa barbe.
Mais, bientôt, la lampe s'éteignit. Le voyageur dit :
« Il faudrait mettre du pétrole dans la lampe !"
— Nous n'en avons plus une goutte ! avoua le petit vieux.
— Nous avons encore un petit bout de chandelle ! » dit la petite vieille.
Et elle se leva pour aller chercher le chandelier.
Mais le voyageur l'arrêta et dit :
« Je veux vous rendre service, à mon tour. Je suis électricien : je vous promets que votre maison sera bien éclairée. Quant à votre bout de chandelle, gardez-le : il pourra vous servir un jour. »
Le surlendemain, le voyageur revint avec des ouvriers. Il posa des lampes électriques dans toutes les pièces de la maison.5
Le petit vieux et la petite vieille avaient, à présent, une belle maison bien chauffée et bien éclairée ; mais ils n'avaient toujours qu'une petite miche dans leur buffet. Ah ! J'allais l'oublier ! Ils gardaient encore leur bout de chandelle. Pourquoi garder un bout
de chandelle quand on s'éclaire à l'électricité ? Moi, je l'aurais jeté...
Ils économisaient beaucoup la petite miche car, lorsqu'il fallait la remplacer, ils avaient de la peine à rassembler l'argent nécessaire.
Un jour, comme ils déjeunaient, ils virent qu'il ne restait plus que des miettes. Ils avaient encore faim. Pourtant, ils dirent :
« Gardons ces miettes : nous en ferons une petite soupe pour
notre dîner. »
Or, comme ils achevaient de ramasser les miettes, deux petits oiseaux jaunes vinrent sur le seuil de la porte. C'étaient deux serins échappés de leur cage. Ils mouraient de faim. Ils firent : piu ! piu ! piu ! ce qui était leur façon de demander la charité.
Le petit vieux dit aussitôt :
« Donnons-leur les miettes que nous gardions pour notre dîner !
— C'est ce que je voulais faire ! » dit la petite vieille.
Et elle jeta les miettes aux deux oiseaux qui se mirent à manger. A ce moment, survint la fille du boulanger. Les serins lui appartenaient. Elle fut bien contente de les retrouver là.
Les serins, ayant mangé toutes les miettes, ne semblaient point rassasiés.
« Ils en voudraient d'autres, dit la fille du boulanger.
— Nous n'en avons plus ! » avoua la petite vieille en baissant la tête.
La fille du boulanger vit, en effet, que le buffet était vide. Elle eut grand'pitié.
Elle attrapa ses oiseaux et s'en alla sans rien dire. Mais, aussitôt qu'elle arriva chez son père, elle lui expliqua ce qui s'était passé. Le boulanger choisit la miche la plus dorée et, tout de suite, il la porta au petit vieux et à la petite vieille.
« Je veux, dit-il, que, chaque jour, vous mangiez le meilleur pain de ma fournée. Si vous ne l'acceptez pas, je serai fâché contre vous ! »6
Le petit vieux et la petite vieille ne manquaient plus de rien. Ils étaient très gais. Chacun les aimait et était content de leur bonheur si bien mérité. Un soir, ils voulurent donner à souper. Tous leurs amis furent de la fête. La maison se trouva trop petite. Chaque invité avait apporté son cadeau : le tailleur, de beaux habits brodés d'argent ; le cordonnier, de beaux souliers luisants ; l'aubergiste, du vin et de la limonade ; l'épicier, du sucre et du
café ; le pâtissier, des gâteaux feuilletés ; la fermière, du beurre frais et du fromage ; le boucher, un gigot de mouton ; le charcutier, des saucisses et du jambon.
Moi, je n'avais pas oublié mon violon. La maison était bien chauffée et les lampes électriques brillaient comme de petits soleils. On se mit à table mais, tout à coup, ftt ! il y eut une panne d'électricité. Et chacun se mit à rire et à crier parce qu'il faisait très noir dans la maison.
Alors la petite vieille dit :
« Vous voyez bien que j'ai eu raison de garder mon petit bout de chandelle ! »
Elle alluma son bout de chandelle. Après un moment, les lampes ont brillé de nouveau.
Et, alors, nous avons soupé. Après le souper, les enfants ont dansé au son de mon violon.
Puis chacun, à son tour, chacun a chanté. Et puis, moi, je m'en suis allé : houp! houp! houp — la — gué!Pour le document portant sur le travail autour du texte:
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Tags : Ernest Pérochon
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