• La feuille morte

     

     

    Jourdan et sa famille habitent une ferme dans le sud de la France.

    1. L'automne commença à suinter dans les maisons et les étables. C'était une odeur comme quand on a ouvert toutes les boîtes d'herbes à tisanes. Et Jourdan regarda vers le dessus de la cheminée. Les boîtes étaient fermées. Cependant l'odeur était là. Elle faisait penser à des litières, à des campements dans les bois.Un, deux, trois, quatre, puis tous les érables s'allumèrent*. Ils se transmettaient la flamme de l'un à l'autre. Les yeuses restaient vertes, les chênes restaient verts, les bouleaux restaient verts. De larges assemblées d'arbres gardaient leur paix et leur couleur mais, de loin en loin, les érables s'allumaient.

     2. Il y avait aussi une petite liane. Son audace d'été l'avait emportée jusque sur le toit de la forêt. Elle avait fait toute sa vie là-dessus, étendue sur les feuillages. Elle s'était accrochée partout avec toutes ses vrilles, elle était mariée à plus de cent espèces d'arbres.

    Elle commença à jaunir, puis à sécher et, au bout de deux ou trois jours, elle était morte.

    Le temps restait au chaud. Le soleil passait un peu plus bas. Le ciel restait pareil, mais la petite liane était morte. Voilà, et pourtant, pendant tout l'été, elle avait supporté le poids des oiseaux et l'ombre des nuages.

    3. Le vieux Jacquou, un soir, était assis dans la cuisine. La soupe bouillait. Il était seul. Barbe, sa femme, était allée chercher du persil. Honoré le gendre, finissait de labourer. Joséphine et les enfants étaient allés au puits.

    La porte était ouverte. Chaque soir, le ciel était magnifique. Le soleil se couchait après toute une grande bataille.

    Jacquou était assis et il écoutait. Il entendait marcher dehors. C'étaient des raclements comme quand on marche en traînant les pieds. Ça s'arrêtait puis ça reprenait.

    Il y avait un peu de vent: le peuplier se balançait.

    4. Jacquou se dit: "Qui ça peut être?"

    Il pensa à un des petits enfants, puis à Honoré peut-être arrêté là dehors, en train de regarder le ciel lui aussi; puis à Barbe, et même il lui cria doucement:

    -Oh! ma vieille!

    Mais, rien ne répondit et ça resta un moment tranquille. Puis ça recommença à marcher. Jacquou avait envie de se dresser et d'ller voir. Loin dans les champs, Honoré cria au cheval. Le ciel semblait une prairie de violettes.

    5. Enfin, une énorme feuille d'arbre  apparut sur le seuil. Elle était sèche. Le vent l'avait arrachée à la forêt et emportée. Il l'avait posée sur l'herbe. Et depuis il la poussait doucement vers la maison.

    Jacquou se dressa, se baissa, prit la feuille et la regarda devant derrière. Il ne la reconnut pas tout de suite. Elle était morte, dure comme de la peau d'âne. C'est après qu'il la reconnut pour être cette feuille solitaire que les vieux chênes élargissent au bout du dernier rameau de l'année.

    Jean Giono

    Retrouver ce texte dans le manuel   Serge Durousseau, Belles lectures, Cours Moyen, collection J. Anscombre, éditions M.D.I, 1970 du site Manuels anciens

    Retrouver l'intégralité du billet sur le blog Grandir près du châtaignier

     

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