• Ce livre fait partie du recueil des Contes choisis de la famille.

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    LES TROIS FRÈRES.

     

    Un vieillard avait trois fils, mais comme il ne possédait pour tout bien qu’une maison, et que cette maison lui avait été léguée par son père, il ne pouvait se résoudre à la vendre pour en partager le produit entre ses enfants. Dans cette incertitude, il lui vint une bonne idée :

    — Risquez-vous par le monde, leur dit-il un jour ; allez apprendre chacun un métier qui vous fasse vivre, et, votre apprentissage terminé, hâtez-vous de revenir ; celui qui me donnera alors la preuve la plus convaincante de son savoir-faire, héritera de ma maison.

    En conséquence, le départ des trois fils fut arrêté. Ils décidèrent qu’ils deviendraient, l’un maréchal-ferrant, l’autre barbier, et le troisième maître d’armes.

    Ils fixèrent ensuite un jour et une heure où ils se retrouveraient dans la suite, pour revenir ensemble sous le toit paternel. Ces conventions arrêtées, ils partirent.

    Or, il arriva que les trois frères eurent le bonheur de rencontrer chacun un maître consommé dans le métier qu’ils voulaient apprendre.

    C’est ainsi que notre maréchal-ferrant ne tarda pas à être chargé de ferrer les chevaux du roi ; aussi pensa-t-il dans sa barbe :

    — Mes frères seront bien habiles s’ils me disputent la maison.

    De son côté, le jeune barbier eut bientôt pour pratiques les plus grands seigneurs de la cour, si bien qu’il se flattait aussi d’hériter de la maison à la barbe de ses frères.

    Quant au maître d’armes, avant de connaître tous les secrets de son art, il dut recevoir plus d’un bon coup d’estoc et de taille ; mais la récompense promise soutenait son courage, en même temps qu’il exerçait son œil et sa main.

    Quand l’époque fixée pour le retour fut arrivée, les trois frères se réunirent à l’endroit convenu, puis ils regagnèrent ensemble la maison de leur père.

    Le soir même de leur retour, tandis qu’ils étaient assis tous quatre devant la porte, ils aperçurent un lièvre qui accourait à travers champs de leur côté.

    — Bravo ! dit le barbier, voici une pratique qui vient fort à propos pour me fournir l’occasion de montrer mon savoir-faire !

    En prononçant ces mots, notre homme prenait savon et bassin et préparait sa blanche mousse.

    Quand le lièvre fut parvenu à proximité, il courut à sa poursuite, le rejoignit, et tout en galopant de concert avec le léger animal, il lui barbouilla le nez de savon, puis d’un seul coup de rasoir il lui enleva la moustache, sans lui faire la plus petite coupure, et sans oublier le plus petit poil.

    — Voilà qui est travaillé ! dit le père. Il faudra que tes frères soient bien habiles pour te disputer la maison.

    Quelques moments après, on vit arriver à toute bride un cheval fringant attelé à une légère voiture.

    — Je vais vous donner un échantillon de mon adresse, dit à son tour le maréchal-ferrant.

    A ces mots, il s’élança sur la trace du cheval, et bien que celui-ci redoublât de vitesse, il lui enleva les quatre fers auquel il en substitua quatre autres ; et tout cela en moins d’une minute, le plus aisément du monde et sans ralentir la course du cheval.

    — Tu es un artiste accompli, s’écria le père ; tu es aussi sûr de ton affaire, que ton frère l’est de la sienne ; et je ne saurais en vérité décider lequel de vous deux mérite le plus la maison.

    — Attendez que j’aie aussi fait mes preuves, dit alors le troisième fils.

    La pluie commençait à tomber en ce moment.

    Notre homme tira son épée, et se mit à en décrire des cercles si rapides au-dessus de sa tête, que pas une seule goutte d’eau ne tomba sur lui ; la pluie redoublant de force, ce fut bientôt comme si on la versait à seaux des hauteurs du ciel. Cependant notre maître d’armes qui s’était borné à agiter son épée toujours plus vite, demeurait à sec sous son arme, comme s’il eût été sous un parapluie ou sous un toit.

    A cette vue, l’admiration de l’heureux père fut au comble, et il s’écria :

    — C’est toi qui as donné la preuve d’adresse la plus étonnante ; c’est à toi que revient la maison.

    Les deux fils aînés approuvèrent cette décision, et joignirent leurs éloges à ceux de leur père. Ensuite, comme ils s’aimaient tous trois beaucoup, ils ne voulurent pas se séparer, et continuèrent de vivre ensemble dans la maison paternelle, où ils exercèrent chacun leur métier. Leur réputation d’habileté s’étendit au loin, et ils devinrent bientôt riches. C’est ainsi qu’ils vécurent heureux et considérés jusqu’à un âge très-avancé ; et lorsqu’enfin l’aîné tomba malade et mourut, les deux autres en prirent un tel chagrin qu’ils ne tardèrent pas à le suivre. 

    On leur rendit les derniers devoirs. Le pasteur de la commune fit observer avec raison que trois frères qui, pendant leur vie avaient été doués d’une si grande adresse et unis par une si touchante amitié, ne devaient pas non plus être séparés dans la mort. En conséquence, on les plaça tous trois dans le même tombeau.


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    LE LOUP ET LE RENARD.

     

    Certain loup s’était fait le compagnon de certain renard, et les moindres désirs de sa seigneurie le loup devenaient des ordres pour son très-humble serviteur le renard, car celui-ci était le plus faible. Aussi désirait-il de tout son coeur pouvoir se débarrasser d’un camarade aussi gênant.

    Tout en rôdant de compagnie, ils arrivèrent un jour dans une forêt profonde.

    — Ami à barbe rouge, lui dit le loup, mets-toi en quête de me procurer un bon morceau ; sinon, je te croque.

    Maître renard s’empressa de répondre :

    — Seigneur loup, je sais à peu de distance d’ici une étable où se trouvent deux agneaux friands ; si le coeur vous en dit, nous irons en dérober un.

    La proposition plut au loup. En conséquence, nos deux compagnons se dirigèrent vers la ferme indiquée ; le rusé renard parvint sans peine à dérober un des agneaux qu’il s’empressa d’apporter au loup ; puis il s’éloigna.

    Aussitôt le loup se mit en devoir de dévorer à belles dents l’innocente bête ; et quand il eut fini, ce qui ne tarda guère, ne se sentant pas encore suffisamment repu, il se prit à penser que ce ne serait pas trop du second agneau pour apaiser sa faim. Il se décida donc à entreprendre lui-même cette nouvelle expédition.

    Or, comme sa seigneurie était un peu lourde, elle renversa un balai en entrant dans l’étable, si bien que la mère du pauvre agneau poussa aussitôt des bêlements si déchirants, que le fermier et ses garçons accoururent en toute hâte. Maître loup passa alors un mauvais quart d’heure : il sentit pleuvoir sur son dos une grêle de coups si drue, qu’il eut toutes les peines du monde à se sauver en boitant, et en hurlant de la manière la plus lamentable.

    Arrivé près du renard :

    — Tu m’as conduit dans un beau guêpier, lui dit-il ; j’avais voulu m’emparer du deuxième agneau ; mais est-ce que ces paysans mal appris ne se sont pas avisés de fondre sur moi à grands coups de bâton, ce qui m’a réduit au fâcheux état où tu me vois.

    — Pourquoi aussi êtes-vous si insatiable ? répondit le renard.

    Le jour suivant, ils se remirent en campagne, et s’adressant à son rusé compagnon :

    — Ami à barbe rouge, lui dit le loup, mets-toi en quête de me procurer un bon morceau, sinon je te croque.

    Maître renard s’empressa de répondre :

    — Seigneur loup, je connais une ferme dont la fermière est présentement occupée à faire des gâteaux délicieux ; si vous voulez, nous irons en dérober quelques-uns ?

    — Marche en avant, répliqua le loup.

    Ils se dirigèrent donc vers la ferme en question, et quand ils y furent arrivés, le renard poussa des reconnaissances autour de la place qu’il s’agissait d’enlever. Il fureta si bien, qu’il finit par découvrir l’endroit où la ménagère cachait ses gâteaux, en déroba une demi-douzaine, et courut les porter au loup.

    — Voilà de quoi régaler votre seigneurie, dit-il.

    Puis il s’éloigna.

    Le loup ne fit qu’une bouchée des six gâteaux qui, loin de le rassasier, aiguillonnèrent encore son appétit.

    — Cela demande à être goûté plus à loisir ! rumina-t-il.

    En conséquence, il entra dans la ferme d’où il avait vu sortir le renard, et parvint dans l’office où se trouvaient les gâteaux. Mais dans son avidité, il voulut tirer à lui tout le plat qui tomba sur le carreau, et vola en pièces en occasionnant un grand fracas.

    Attirée soudain par un tel vacarme, la fermière aperçut le loup et appela ses gens. Ceux-ci accoururent sur-le-champ, et cette fois encore maître loup fut rossé d’importance.

    Boitant de deux pattes et poussant des hurlements capables d’attendrir un rocher, il rejoignit le renard dans la forêt :

    — Dans quel horrible guêpier m’as-tu de nouveau conduit ? lui dit-il. Il se trouvait là des rustres qui m’ont cassé leurs bâtons sur le dos.

    — Pourquoi votre seigneurie est-elle si insatiable ? répondit le renard.

    Le lendemain, les deux compagnons se mirent pour la troisième fois en campagne, et, bien que le loup ne pût encore marcher que clopin clopant, s’adressant de nouveau au renard :

    — Ami à la barbe rouge, lui dit-il, mets-toi en quête de me procurer un bon morceau ; sinon je te croque.

    Le renard s’empressa de répondre.

    — Je connais un homme qui vient de saler un porc ; le lard savoureux se trouve en ce moment dans un tonneau de sa cave ; si vous voulez, nous irons en prélever notre part ?

    — J’y consens, répliqua le loup, mais j’entends que nous y allions ensemble, pour que tu puisses me prêter secours en cas de malheur.

    — De tout mon coeur, reprit le rusé renard.

    Et il se mit immédiatement en devoir de conduire le loup par une foule de détours et de sentiers jusque dans la cave annoncée.

    Ainsi que le renard l’avait prédit, jambon et lard se trouvaient là en abondance. Le loup fut bientôt à l’œuvre :

    — Rien ne nous presse, dit-il, donnons-nous-en donc tout à notre aise !

    Maître renard se garda bien d’interrompre son compagnon dans ses fonctions gloutonnes : mais quant à lui, il eut toujours l’œil et l’oreille au guet ; de plus, chaque fois qu’il avait avalé un morceau, il s’empressait de courir à la lucarne par laquelle ils avaient pénétré dans la cave, afin de prendre la mesure de son ventre.

    Étonné de ce manège, le loup lui dit entre deux coups de dents.

    — Ami renard, explique-moi donc pourquoi tu perds ainsi ton temps à courir de droite à gauche, puis à passer et à repasser par ce trou ?

    — C’est pour m’assurer que personne ne vient, reprit le rusé renard. Que votre seigneurie prenne seulement garde de se donner une indigestion.

    — Je ne sortirai d’ici, répliqua le loup, que lorsqu’il ne restera plus rien dans le tonneau.

    Dans l’intervalle, arriva le paysan, attiré par le bruit que faisaient les bonds du renard. Ce dernier n’eut pas plutôt aperçu notre homme, qu’en un saut il fut hors de la cave ; sa seigneurie le loup voulut le suivre, mais par malheur, il avait tant mangé que son ventre ne put passer par la lucarne, et qu’il y resta suspendu. Le paysan eut donc tout le temps d’aller chercher une fourche dont il perça le pauvre loup.

    Sans sa gloutonnerie, se dit le renard, en riant dans sa barbe, je ne serais pas encore débarrassé de cet importun compagnon.


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    LA CHOUETTE.

     

    Il y a environ quelques siècles, lorsque les hommes n’étaient pas encore aussi fins et aussi rusés qu’ils le sont aujourd’hui, il arriva une singulière histoire dans je ne sais plus quelle petite ville, fort peu familiarisée, comme on va le voir, avec les oiseaux nocturnes.

    A la faveur d’une nuit très obscure, une chouette, venue d’une forêt voisine, s’était introduite dans la grange d’un habitant de la petite ville en question, et, quand reparut le jour, elle n’osa pas sortir de sa cachette, par crainte des autres oiseaux qui n’auraient pas manqué de la saluer d’un concert de cris menaçants.

    Or, il arriva que le domestique vint chercher une botte de paille dans la grange ; mais à la vue des yeux ronds et brillants de la chouette tapie dans un coin, il fut saisi de frayeur, qu’il prit ses jambes à son cou, et courut annoncer à son maître qu’un monstre comme il n’en avait encore jamais vu se tenait caché dans la grange, qu’il roulait dans ses orbites profondes des yeux terribles, et qu’à coup sûr cette bête avalerait un homme sans cérémonie et sans difficulté.

    — Je te connais, beau masque, lui répondit son maître ; s’il ne s’agit que de faire la chasse aux merles dans la plaine, le coeur ne te manque pas ; mais aperçois-tu un pauvre coq étendu mort contre terre, avant de t’en approcher, tu as soin de t’armer d’un bâton. Je veux aller voir moi-même à quelle espèce de monstre nous allons avoir affaire.

    Cela dit, notre homme pénétra d’un pied hardi dans la grange, et se mit à regarder en tous sens.

    Il n’eut pas plutôt vu de ses propres yeux l’étrange et horrible bête, qu’il fut saisi d’un effroi pour le moins égal à celui de son domestique. En deux bonds il fut hors de la grange, et courut prier ses voisins de vouloir bien lui prêter aide et assistance contre un monstre affreux et inconnu :

    — Il y va de votre propre salut, leur dit-il ; car si ce terrible animal parvient à s’évader de ma grange, c’en est fait de la ville entière !

    En moins de quelques minutes, des cris d’alarme retentirent par toutes les rues ; les habitants arrivèrent armés de piques, de fourches et de faux, comme s’il se fût agi d’une sortie contre l’ennemi ; puis enfin parurent, en grand costume et revêtus de leur écharpe, les conseillers de la commune avec le bourgmestre en tête. Après s’être mis en rang sur la place, ils s’avancèrent militairement vers la grange qu’ils cernèrent de tous côtés. Alors le plus courageux de la troupe sortit du cercle, et se risqua à pénétrer dans la grange, la pique en avant; mais on l’en vit ressortir aussitôt à toutes jambes, pâle comme la mort, et poussant de grands cris.

    Deux autres bourgeois intrépides osèrent encore après lui tenter l’aventure, mais ils ne réussirent pas mieux.

    A la fin, on vit se présenter un homme d’une stature colossale et d’une force prodigieuse. C’était un ancien soldat qui, par sa bravoure, s’était fait une réputation à la guerre.

    — Ce n’est pas en allant vous montrer les uns après les autres, dit-il, que vous parviendrez à vous débarrasser du monstre ; il s’agit ici d’employer la force, mais je vois avec peine que la peur a fait de vous autant de femmes. Cela dit, notre valeureux guerrier se fit apporter cuirasse, glaive et lance, puis il s’arma en guerre.

    Chacun vantait son courage, quoique presque tous fussent persuadés qu’il courait à une mort certaine.

    Les deux portes de la grange furent ouvertes, et l’on put voir alors la chouette qui était allée se poser sur une poutre du milieu. Le soldat se décida à monter à l’assaut. En conséquence, on lui apporta une échelle qu’il plaça contre la poutre.

    Au moment où il s’apprêtait à monter, ses camarades lui crièrent en coeur de se conduire en homme ; puis, ils le recommandèrent à saint Georges qui, chacun le sait, dompta jadis le dragon.

    Quand il fut parvenu aux trois quarts de l’échelle, la chouette qui s’aperçut qu’on en voulait à sa noble personne, et que d’ailleurs les clameurs de la foule avait effarouchée, ne sachant de quel côté s’enfuir, se mit soudain à rouler de grands yeux, hérissa ses plumes, déploya ses vastes ailes, déserra son bec hideux, et poussa trois cris sauvages, d’une voix rauque et effrayante.

    — Frappez-la de votre lance ! s’écrièrent au même instant du dehors les bourgeois électrisés. 

    — Je voudrais bien vous voir à ma place, répondit le belliqueux aventurier ; je gage qu’alors vous ne seriez pas si braves.

    Toutefois, il monta encore d’un degré sur l’échelle ; après quoi, la peur s’empara de lui, si bien qu’il lui resta tout au plus assez de force pour redescendre jusqu’au bas.

    Dès lors, il ne se trouva plus personne pour affronter le danger.

    — Au moyen de sa seule haleine et par la fascination de son regard, disaient-ils tous, cet horrible monstre a pénétré de son venin et blessé à mort le plus robuste d’entre nous ; à quoi nous servirait donc de nous exposer à une mort certaine ?

    D’accord sur ce point, ils tinrent conseil à l’effet de savoir ce qu’il y avait à faire pour préserver la ville d’une ruine imminente. Pendant longtemps tous les moyens avaient été jugés insuffisants, lorsqu’enfin par bonheur le bourgmestre eut une idée.

    — Mon avis est, dit ce respectable citoyen, que nous dédommagions, au nom de la commune, le propriétaire de cette grange ; que nous lui payions la valeur de tous les sacs d’orge et de blé qu’elle renferme ; puis, que nous y mettions le feu, aux quatre coins, ce qui ne coûtera la vie à personne. Ce n’est pas dans une circonstance aussi périlleuse qu’il faut se montrer avare des deniers publics ; et d’ailleurs il s’agit ici du salut commun.

    L’avis du bourgmestre fut adopté à l’unanimité.

    En conséquence, le feu fut mis aux quatre coins de la grange, qui bientôt fut entièrement consumée, tandis que la chouette s’envolait par le toit.

    Si vous doutez de la vérité de ce récit, allez sur les lieux vous en informer vous-même.


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    LA DOUCE BOUILLIE.

     

    Une fille, pauvre mais vertueuse et craignant Dieu, vivait seule avec sa vieille mère. Leur misère était devenue si grande qu’elles se voyaient sur le point de mourir de faim.

    Dans cette extrémité, la pauvre fille, toujours confiante en Dieu, sortit de leur misérable cabane, et pénétra dans le bois voisin.

    Elle ne tarda pas à rencontrer une vieille femme qui, devinant (c’était une fée) la détresse de la jeune fille, lui donna un petit pot, bien précieux vraiment.

    — Tu n’auras qu’à prononcer ces trois mots, dit la vieille : «petit pot, cuis !» Il se mettra aussitôt à te faire une douce et excellente bouillie de millet ; et quand tu auras dit : «petit pot, arrête-toi !» il s’arrêtera sur-le-champ.

    La jeune fille s’empressa d’apporter à sa mère ce pot merveilleux. A partir de ce moment, l’indigence et la faim quittèrent leur humble cabane, et elles purent se régaler de bouillie tout à leur aise.

    Il arriva qu’un jour la jeune fille dut aller faire une course hors du village. Pendant son absence la mère eut faim, et se hâta de dire :

    — Petit pot, cuis.

    Petit pot ne se le fit pas répéter, et la vieille eut bientôt mangé tout son soûl ; alors, la bonne femme voulut arrêter le zèle producteur du petit pot. Mais par malheur elle ignorait les mots qu’il fallait prononcer pour cela. Maître petit pot continua donc de cuire toujours plus et plus fort, si bien que la bouillie ne tarda pas à déborder du vase, puis à remplir la cuisine, puis à inonder la maison, puis la maison d’à côté, puis une autre, puis encore une autre, puis enfin toute la rue ; et du train dont il y allait, on eût dit qu’il voulait noyer le monde entier. Cela devenait d’autant plus effrayant, que personne ne savait comment s’y prendre pour arrêter ce déluge.

    Heureusement qu’à la fin, comme il ne restait plus dans tout le village qu’une seule maison qui ne fût pas devenue la proie de la bouillie, la jeune fille revint et s’écria :

    — Petit pot ! arrête-toi !

    Et aussitôt petit pot s’arrêta.

    Les habitants du village, qui désirèrent rentrer dans leurs maisons, n’en durent pas moins avaler beaucoup plus de bouillie qu’ils n’en voulaient.

    Ce conte prouve qu’on fait toujours mal ce qu’on ne sait qu’à demi.

     

     

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    LE DOCTEUR UNIVERSEL.

     

    Il y avait une fois un paysan nommé Écrevisse. Ayant porté une charge de bois chez un docteur, il remarqua les mets choisis et les vins fins dont se régalait celui-ci, et demanda, en ouvrant de grands yeux, s’il ne pourrait pas aussi devenir docteur ?

    — Oui certes, répondit le savant ; il suffit pour cela de trois choses : 1° procure-toi un abécédaire, c’est le principal ; 2° vends ta voiture et tes bœufs pour acheter une robe et tout ce qui concerne le costume d’un docteur ; 3° mets à ta porte une enseigne avec ces mots : Je suis le docteur universel.

    Le paysan exécuta ces instructions à la lettre. A peine exerçait-il son nouvel état, qu’une somme d’argent fut volée à un riche seigneur du pays. Ce seigneur fait mettre les chevaux à sa voiture et vient demander à notre homme s’il est bien le docteur universel.

    — C’est moi-même, monseigneur.

    — En ce cas, venez avec moi pour m’aider à retrouver mon argent.

    — Volontiers, dit le docteur ; mais Marguerite, ma femme, m’accompagnera.

    Le seigneur y consentit, et les emmena tous deux dans sa voiture. Lorsqu’on arriva au château, la table était servie, le docteur fut invité à y prendre place.

    — Volontiers, répondit-il encore ; mais Marguerite, ma femme, y prendra place avec moi.

    Et les voilà tous deux attablés.

    Au moment où le premier domestique entrait, portant un plat de viande, le paysan poussa sa femme du coude, et lui dit :

    — Marguerite, celui-ci est le premier.

    Il voulait dire le premier plat ; mais le domestique comprit : le premier voleur ; et comme il l’était en effet, il prévint en tremblant ses camarades.

    — Le docteur sait tout ! notre affaire n’est pas bonne ; il a dit que j’étais le premier !

    Le second domestique ne se décida pas sans peine à entrer à son tour ; à peine eut-il franchi la porte avec son plat, que le paysan, poussant de nouveau sa femme :

    — Marguerite, voici le second.

    Le troisième eut la même alerte, et nos coquins ne savaient plus que devenir. Le quatrième s’avance néanmoins, portant un plat couvert (c’étaient des écrevisses). Le maître de la maison dit au docteur :

    — Voilà une occasion de montrer votre science. Devinez ce qu’il y a là-dedans.

    Le paysan examine le plat, et, désespérant de se tirer d’affaire :

    — Hélas ! soupire-t-il, pauvre Écrevisse ! (On se rappelle que c’était son premier nom.)

    A ces mots, le seigneur s’écrie :

    — Voyez-vous, il a deviné ! Alors il devinera qui a mon argent !

    Aussitôt le domestique, éperdu, fait signe au docteur de sortir avec lui. Les quatre fripons lui avouent qu’ils ont dérobé l’argent, mais qu’ils sont prêts à le rendre et à lui donner une forte somme s’il jure de ne les point trahir ; puis ils le conduisent à l’endroit où est caché le trésor. Le docteur, satisfait, rentre, et dit :

    — Seigneur, je vais maintenant consulter mon livre, afin d’apprendre où est votre argent.

    Cependant un cinquième domestique s’était glissé dans la cheminée pour voir jusqu’où irait la science du devin. Celui-ci feuillette en tous sens son abécédaire, et ne pouvant y trouver un certain signe :

    — Tu es pourtant là dedans, s’écrie-t-il avec impatience, et, il faudra bien que tu en sortes.

    Le valet s’échappe de la cheminée, se croyant découvert, et crie avec épouvante :

    — Cet homme sait tout ?

    Bientôt le docteur montra au seigneur son argent, sans lui dire qui l’avait soustrait ; il reçut de part et d’autre une forte récompense, et fut désormais un homme célèbre.

     

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    LE SOLEIL QUI REND TÉMOIGNAGE.

     

    Un ouvrier tailleur voyageait de ville en ville pour se perfectionner dans son état. Les temps devinrent si difficiles, qu’il ne put plus trouver d’ouvrage, et qu’il tomba dans une misère profonde. Dans cette extrémité, il rencontra un juif au milieu d’un bois touffu ; et chassant de son coeur la pensée de Dieu, il le saisit au collet et lui dit :

    — La bourse, ou la vie !

    Le juif répondit :

    — De grâce, laissez-moi la vie ; je ne suis d’ailleurs qu’un pauvre juif, et je n’ai que deux sous pour toute fortune.

    Le tailleur crut que le juif lui en imposait ; et il reprit :

    — Tu mens ; je suis sûr que ta bourse est bien garnie.

    En achevant ces mots, il fondit sur le pauvre juif et lui asséna des coups si violents, que le malheureux tomba expirant contre terre. Sur le point de rendre le dernier soupir, le juif recueillit le peu qui lui restait de forces pour prononcer ces paroles :

    — Le soleil qui a vu ton crime, saura bien en rendre témoignage !

    Et le pauvre juif avait cessé d’exister.

    Aussitôt l’ouvrier tailleur se mit à fouiller dans les poches de sa victime, mais il eut beau les retourner en tous sens, il n’y trouva que les deux sous annoncés par le juif.

    Alors, il souleva le corps et alla le cacher derrière un buisson; après quoi, il poursuivit sa route, à la recherche d’une place.

    Quand il eut voyagé longtemps de la sorte, il finit par trouver à s’employer dans une ville chez un maître tailleur qui avait une très belle fille. Le jeune apprenti ne tarda pas à en devenir épris, la demanda en mariage, et l’épousa. Et ils vécurent heureux.

    Longtemps après, son beau-père et sa belle-mère moururent, et le jeune couple hérita de leur maison. Un matin, tandis que notre tailleur était assis, les deux jambes croisées sur la table, et regardait par la fenêtre, sa femme lui apporta son café. Il en versa une partie dans sa soucoupe, et comme il se disposait à boire, un rayon de soleil vint se jouer à la surface de la liqueur, puis remonta vers les bords en traçant des dessins fantastiques. Le tailleur, à qui sa conscience rappelait sans cesse les dernières paroles du juif, marmotta entre ses dents :

    — Voilà un rayon qui voudrait bien rendre témoignage, mais il lui manque la voix !

    — Que murmures-tu là dans ta barbe ? lui demanda avec étonnement sa femme.

    Le tailleur fort embarrassé par cette question, répondit :

    — Ne le demande pas ; c’est un secret.

    Mais la femme reprit :

    — Entre nous il ne doit pas y avoir place pour un secret. Tu me confieras celui-ci, ou je croirai que tu ne m’aimes pas.

    Et la femme accompagna cette réponse insidieuse des plus belles promesses de discrétion : elle ensevelirait ce secret dans son sein ; elle ne lui en parlerait même jamais plus. Bref, elle fit si bien, que le tailleur lui avoua que jadis, dans ses années de compagnonnage, un jour, égaré par la misère et la faim, il avait fait tomber sous ses coups, pour le dévaliser, un malheureux juif ; et qu’au moment de rendre le dernier soupir, ce juif lui avait dit :

    — Le soleil qui a vu ton crime saura bien en rendre témoignage!

    — Et c’est à quoi je faisais allusion tout à l’heure, poursuivit le tailleur, en voyant le soleil s’évertuer à faire des ronds dans ma tasse ; mais je t’en supplie, veille bien sur ta langue ; songe qu’un seul mot pourrait me perdre.

    La femme jura ses grands dieux qu’elle se montrerait digne de recevoir un secret.

    Or, son mari s’était à peine remis au travail, qu’elle courut en toute hâte chez sa marraine, à qui elle raconta ce qu’elle venait d’apprendre, en lui recommandant bien de n’en souffler mot à qui que ce soit. Le lendemain, ce secret était celui de la ville entière ; si bien, que le tailleur fut cité à comparaître devant le juge, qui le condamna à la peine qu’il méritait.

    Et c’est ainsi que le soleil, qui voit tous les crimes, finit toujours par en rendre témoignage.

     

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    LE RENARD ET LE CHAT.

     

    Un jour le chat rencontra messire le renard au fond d’un bois, et comme il le connaissait pour un personnage adroit, expérimenté, et fort en crédit dans le monde, il l’aborda avec une grande politesse :

    — Bonjour, monsieur le renard, lui dit-il ; comment vous portez-vous ? êtes-vous content de vos affaires ? comment faites-vous dans ce temps de disette ?

    Le renard, tout gonflé d’orgueil, toisa de la tête aux pieds le pauvre chat, et sembla se demander pendant quelques instants s’il daignerait l’honorer d’une réponse. Il s’y décida pourtant à la fin :

    — Pauvre hère que tu es ! répliqua-t-il d’un ton de mépris, misérable meurt-de-faim, infime et ridicule chasseur de souris, d’où te vient aujourd’hui tant d’audace ? Tu oses te faire l’honneur de me demander comment je me porte ? Mais pour te permettre de me questionner, quelles sont donc les connaissances que tu possèdes ? de combien d’arts connais-tu les secrets ?

    — Je n’en connais qu’un seul, répondit le chat d’un air modeste et confus.

    — Et quel est cet art ? demanda le renard avec arrogance.

    — Quand les chiens sont à ma poursuite, repartit le chat, je sais leur échapper en grimpant sur un arbre.

    — Est-ce là tout ? reprit le renard. Moi, je suis passé docteur en cent arts divers ; mais ce n’est rien encore : je possède en outre un sac tout rempli de ruses. En vérité, j’ai compassion de toi ; suis-moi, et je t’apprendrai comment on échappe aux chiens.

    Comme il achevait ces mots, un chasseur, précédé de quatre dogues vigoureux, parut au bout du sentier. Le chat s’empressa de sauter sur un arbre, et alla se fourrer dans les branches les plus touffues, si bien qu’il était entièrement caché.

    — Hâtez-vous de délier votre sac ! hâtez-vous d’ouvrir votre sac ! cria-t-il au renard.

    Mais déjà les chiens s’étaient précipités sur ce dernier, et le tenaient entre leurs crocs.

    — Eh ! monsieur le renard, cria de nouveau le chat, vous voilà bien embourbé avec vos cent arts divers ! Si vous n’aviez su que grimper comme moi, vous seriez en ce moment un peu plus à votre aise.

     

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  • Ce livre fait partie du recueil des Contes choisis de la famille.

     

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    LE RENARD ET LES OIES.

     

    Un jour qu’il rôdait selon sa coutume, maître renard arriva dans une prairie où une troupe de belles oies bien grasses se prélassait au soleil.

    A cette vue, notre chercheur d’aventures poussa un éclat de rire effrayant, et s’écria :

    — En vérité, je ne pouvais venir plus à propos ! vous voilà alignées d’une façon si commode, que je n’aurai guère besoin de me déranger pour vous croquer l’une après l’autre.

    A ces mots, les oies épouvantées poussèrent des cris lamentables et supplièrent le renard de vouloir bien se laisser toucher et de ne point leur ôter la vie.

    Elles eurent beau dire et beau faire, maître renard resta inébranlable.

    — Il n’y a pas de grâce possible, répondit-il, votre dernière heure a sonné.

    Cet arrêt cruel donna de l’esprit à l’une des oies qui, prenant la parole au nom de la troupe :

    — Puisqu’il nous faut, dit-elle, renoncer aux douces voluptés des prés et des eaux, soyez assez généreux pour nous accorder la dernière faveur qu’on ne refuse jamais à ceux qui doivent mourir ; promettez de ne nous ôter la vie que lorsque nous aurons achevé notre prière ; ce devoir accompli, nous nous mettrons sur une ligne, de façon à ce que vous puissiez dévorer successivement les plus grasses d’entre nous.

    — J’y consens, répondit le renard ; votre demande est trop juste pour n’être point accueillie : commencez donc votre prière ; j’attendrai qu’elle soit finie.

    Aussitôt, une des oies entonna une interminable prière, un peu monotone à la vérité, car elle ne cessait de dire : caa-caa-caa. Et comme, dans son zèle, la pauvre bête ne s’interrompait jamais, la seconde oie entonna le même refrain, puis la troisième, puis la quatrième, puis enfin toute la troupe, de sorte qu’il n’y eut bientôt plus qu’un concert de caa-caa-caa !

    Et maître renard qui avait donné sa parole, dut attendre qu’elles eussent fini leur caquetage. 

    Nous devrons faire comme lui pour connaître la suite de ce conte. Par malheur, les oies caquettent encore toujours, d’où je conclus qu’elles ne sont pas aussi bêtes qu’on veut bien le dire.

     

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  • Ce livre fait partie du recueil des Contes choisis de la famille.

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    LE VIOLON MERVEILLEUX.

     

    Il était une fois un ménétrier qui avait un violon merveilleux. Ce ménétrier se rendit un jour tout seul dans une forêt, laissant errer sa pensée çà et là ; et quand il ne sut plus à quoi songer, il se dit :

    — Le temps commence à me sembler long dans cette forêt ; je veux faire en sorte qu’il m’arrive un bon compagnon.

    En conséquence, il prit son violon qu’il portait sur le dos, et se mit à jouer un air qui réveilla mille échos dans le feuillage. Il n’y avait pas longtemps qu’il jouait, lorsqu’un loup vint en tapinois derrière les arbres.

    — Ciel ! voilà un loup ! ce n’est point là le compagnon que je désire, pensa le ménétrier.

    Cependant le loup s’approcha, et lui dit :

    — Eh ! cher ménétrier, que tu joues bien ! ne pourrais-je pas aussi apprendre ton art ?

     — La chose est facile, répondit le ménétrier ; il suffit pour cela que tu fasses exactement tout ce que je te dirai.

     — Oh ! cher ménétrier, reprit le loup, je veux t’obéir, comme un écolier obéit à son maître.

    Le musicien lui enjoignit de le suivre, et lorsqu’ils eurent fait un bout de chemin, ils arrivèrent au pied d’un vieux chêne qui était creux et fendu par le milieu.

    — Tu vois cet arbre, dit le ménétrier ; si tu veux apprendre à jouer du violon, il faut que tu places tes pattes de devant dans cette fente.

    Le loup obéit ; mais le musicien ramassa aussitôt une pierre et en frappa avec tant de force les deux pattes du loup, qu’elles s’enfoncèrent dans la fente, et que le pauvre animal dut rester prisonnier.

    — Attends-moi jusqu’à ce que je revienne, ajouta le ménétrier.

    Et il continua sa route.

    Il avait à peine marché pendant quelques minutes, qu’il se prit à penser de nouveau : 

    — Le temps me semble si long dans cette forêt, que je vais tâcher de m’attirer un autre compagnon.

    En conséquence, il prit son violon, et joua un nouvel air. Il n’y avait pas longtemps qu’il jouait, lorsqu’un renard arriva en tapinois à travers les arbres.

    — Ah ! voilà un renard, se dit le musicien ; ce n’est pas là le compagnon que je désire.

    Le renard s’approcha, et lui dit :

    — Eh ! cher musicien, que tu joues bien ! Je voudrais bien apprendre ton art.

    — La chose est facile, répondit le musicien ; il suffit pour cela que tu fasses exactement tout ce que je te dirai.

    — Oh ! cher musicien, reprit le renard, je te promets de t’obéir, comme un écolier obéit à son maître.

    — Suis-moi, dit le ménétrier.

    Quand ils eurent marché pendant quelques minutes, ils arrivèrent à un sentier bordé des deux côtés par de hauts arbustes. En cet endroit, le musicien s’arrêta, saisit d’un côté du chemin un noisetier qu’il inclina contre terre, mit le pied sur sa cime ; puis de l’autre côté, il en fit de même avec un autre arbrisseau ; après quoi, s’adressant au renard :

    — Maintenant, camarade, s’il est vrai que tu veuilles apprendre quelque chose, avance ta patte gauche.

    Le renard obéit, et le musicien lui lia la patte à l’arbre de gauche.

    — Renard, mon ami, lui dit-il ensuite, avance maintenant ta patte droite. L’animal ne se le fit pas dire deux fois, et le ménétrier lui lia cette patte à l’arbre de droite. Cela fait, il lâcha les deux arbustes qui se redressèrent soudain, emportant avec eux dans l’air le renard qui resta suspendu et se débattit vainement.

    — Attends-moi jusqu’à ce que je revienne, dit le musicien.

    Et il continua sa route.

    Il ne tarda pas à penser pour la troisième fois :

    — Le temps me semble long dans cette forêt ; il faut que je tâche de me procurer un autre compagnon.

    En conséquence, il prit son violon, et les accords qu’il en tira retentirent à travers le bois. Alors arriva, à bonds légers, un levraut.

    — Ah ! voilà un levraut, se dit le musicien. Ce n’est pas là le compagnon que je désire.

    — Eh ! cher musicien, dit le levraut, que tu joues bien ! je voudrais bien apprendre ton art.

    — La chose est facile, répondit le ménétrier ; il suffit pour cela que tu fasses exactement tout ce que je te dirai.

    — Oh ! cher musicien, reprit le levraut, je te promets de t’obéir comme un écolier obéit à son maître.

    Ils cheminèrent quelque temps ensemble, puis ils arrivèrent à un endroit moins sombre du bois où se trouvait un peuplier. Le musicien attacha au cou du levraut une longue corde qu’il noua au peuplier par l’autre bout. — Maintenant alerte ! ami levraut, fais-moi vingt fois en sautant le tour de l’arbre.

    Le levraut obéit ; et quand il eut fait vingt fois le tour commandé, la corde était enroulée vingt fois autour de l’arbre, si bien que le levraut se trouva captif, et il eut beau tirer de toutes ses forces, il ne réussit qu’à se meurtrir le cou avec la corde.

    — Attends-moi jusqu’à ce que je revienne, dit le musicien.

    Et il poursuivit sa route.

    Cependant à force de tirer, de s’agiter, de mordre la pierre et de travailler en tous sens, le loup avait fini par rendre la liberté à ses pattes en les retirant de la fente. Plein de colère et de rage, il se mit à la poursuite du musicien qu’il se promettait de mettre en pièces.

    Lorsque le renard l’aperçut qui arrivait au galop, il se prit à gémir et à crier de toutes ses forces :

    — Frère loup, viens à mon secours ! le musicien m’a trompé.

    Le loup inclina les deux arbustes, rompit les cordes d’un coup de dent, et rendit la liberté au renard qui le suivit, impatient aussi de se venger du musicien. Ils rencontrèrent bientôt le pauvre levraut, qu’ils délivrèrent également, et tous les trois se mirent à la poursuite de l’ennemi commun.

    Or, en continuant son chemin, le ménétrier avait une quatrième fois joué de son violon merveilleux ; pour le coup il avait mieux réussi. Les accords de son instrument étaient arrivés jusqu’aux oreilles d’un pauvre bûcheron, qui, séduit par cette douce musique, abandonna sa besogne, et, la hache sous le bras, s’empressa de courir vers l’endroit d’où partaient les sons.

    — Voilà donc enfin le compagnon qu’il me faut ! dit le musicien; car je cherchais un homme et non des bêtes sauvages.

    Puis il se remit à jouer d’une façon si harmonieuse et si magique, que le pauvre homme resta là immobile comme sous l’empire d’un charme, et que son coeur déborda de joie. C’est à ce moment qu’arrivèrent le loup, le renard et le levraut. Le bûcheron n’eut pas de peine à remarquer que ses camarades n’avaient pas les meilleures intentions. En conséquence, il saisit sa hache brillante et se plaça devant le musicien, d’un air qui voulait dire :

    — Celui qui en veut au ménétrier fera bien de se tenir sur ses gardes, car il aura affaire à moi.

    Aussi la peur s’empara-t-elle des animaux conjurés, qui retournèrent en courant dans la forêt. Le musicien témoigna sa reconnaissance au bûcheron en lui jouant encore un air mélodieux, puis il s’éloigna.


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    Ce livre fait partie du recueil des Contes choisis de la famille.

     

    LE LOUP ET L’HOMME.

     

    Le renard fit un jour au loup des récits merveilleux de la force de l’homme ; il n’est pas un seul des animaux, dit-il, qui puisse lui résister, et tous ont besoin de recourir à la ruse pour échapper à ses coups. 

    Le loup répondit au renard d’un air fanfaron :

    — Je voudrais bien qu’un heureux hasard me fît rencontrer un homme ; tous tes beaux discours ne m’empêcheraient pas de l’aborder en face.

    — Si tel est ton désir, répliqua le renard, il me sera facile de te fournir l’occasion que tu parais poursuivre. Viens me trouver demain de bon matin, et je te montrerai celui que tu cherches.

    Le loup se trouva à l’heure convenue au rendez-vous, et maître renard le conduisit par des détours à lui familiers, jusqu’au chemin qu’un chasseur avait coutume de prendre tous les jours. Le premier individu qui se présenta fut un vieux soldat, congédié depuis longtemps.

    — Est-ce là un homme ? demanda le loup.

    — Non, répondit le renard, c’en était un autrefois.

    Après le soldat, un petit garçon qui se rendait à l’école apparut sur le chemin.

    Le loup demanda de nouveau :

    — Est-ce là un homme ?

    — Non, mais c’en sera un plus tard.

    Enfin arriva le chasseur, son fusil à deux coups sur le dos et son couteau de chasse au côté. Maître renard s’adressant au loup : 

    — Cette fois, celui que tu vois venir est bien un homme ; voici le moment de l’aborder en face ; quant à moi, tu ne trouveras pas mauvais que j’aille me reposer un peu dans ma tanière.

    Ainsi qu’il l’avait dit, le loup marcha droit à la rencontre du chasseur ; à sa vue, celui-ci se dit en lui-même:

    — Quel dommage que je n’aie pas chargé mon fusil à balles !

    Il mit en joue, et envoya tout son petit plomb dans le visage de messire loup, qui fit une grimace affreuse, et continua cependant d’avancer sans se laisser intimider. Le chasseur lui adressa une seconde décharge.

    Le loup supporta sa douleur en silence et s’élança d’un bond sur le chasseur ; mais celui-ci tira du fourreau sa lame acérée, et lui en porta dans les flancs de si rudes coups que le pauvre animal, renonçant à sa vengeance, prit la fuite et retourna tout sanglant vers le renard.

    — Eh bien, lui cria le rusé compère, du plus loin qu’il l’aperçut, comment t’es-tu tiré de ta rencontre avec l’homme ?

    — Ne me le demande pas, répondit le loup tout confus, je ne me serais jamais fait une telle idée de la force de l’homme ; il commença par prendre un bâton qu’il portait sur le dos, souffla par un bout et m’envoya au visage une certaine poussière qui m’a chatouillé de la manière la plus désagréable du monde ; puis il souffla une seconde fois dans son bâton, et je crus recevoir dans le nez une pluie de grêlons et d’éclairs. Enfin, lorsque je fus parvenu tout près de lui, il tira de son corps une blanche côte, et m’en asséna des coups si violents, que peu s’en est fallu que je ne restasse mort sur la place.

    — Cela te prouve, répondit le renard, que l’on ne gagne pas toujours à faire le fanfaron, et qu’il ne faut jamais promettre plus qu’on ne peut tenir.


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