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  • Auteur : Jean Macé

    Recueil : Contes du petit château (1862).

    Niveau : 4.

    Genre : Conte.

    Document proposé par Littérature au primaire.

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    LE GRAND SAVANT

    (Jean Macé, Contes du Petit-Château)

     

    Il y avait une fois un petit garçon qui était toujours le premier à l’école. Prix de grammaire, prix d’arithmétique, prix d’histoire, prix de géographie, il les avait tous. Quand venait la distribution des prix, il s’en retournait à la maison avec toute une pile de livres sous le bras, et la tête chargée de tant de couronnes, qu’on ne la voyait presque plus. Aussi les gens se retournaient dans la rue pour le regarder passer; et le lendemain, au marché, la bonne parlait avec enthousiasme de son jeune maître, qui était déjà un grand savant. Tout cela, il faut le dire, enflait bien un peu le pauvre petit, et il s’habituait tout doucement à prendre une haute idée de sa personne.

    Il avait pour voisine une petite fille qui venait souvent jouer avec lui. Elle n’avait pas autant de facilité pour apprendre ; mais c’était une bien gentille enfant, aimable et douce avec tout le monde, obéissante avec ses parents, et qui tous les soirs avant de se coucher, priait le bon Dieu de tout son coeur de la rendre sage et bonne. Notre grand savant commença bientôt à la regarder du haut de sa grandeur. Il s’avisa un beau jour qu’une petite ignorante comme elle était peu de chose pour lui, et qu’il conviendrait pourtant de s’assurer de ce qu’elle savait avant de lui continuer l’honneur de sa compagnie. La chère enfant était donc venue le chercher pour lui montrer un beau livre d’images qu’elle avait reçu de sa marraine, il l’accueillit avec un petit air digne et froid qu’elle ne lui avait jamais vu.

    — Mademoiselle, lui dit-il, je ne demande pas mieux que d’aller avec vous; mais auparavant je désirerais savoir si vous êtes en état de convertir une fraction ordinaire en fraction décimale.

    Elle se mit à rire.

    — Oh ! je n’en suis pas encore là. Je vais bientôt commencer la division.

    — Il ne s’agit pas de rire : je parle sérieusement. Vous me direz bien au moins la différence qui existe entre une proposition principale relative et une proposition principale absolue ?

    — On nous l’a dit l’autre jour en classe ; mais je ne me le rappelle plus.

    — Fort bien. Il est probablement inutile de vous demander en quelle année Rome a été fondée ?

    — Quelle drôle de question ! Tu sais bien que je viens seulement de commencer l’histoire des Égyptiens.

    — De mieux en mieux. Je parierais presque que vous ne sauriez pas même me nommer les départements du bassin de la Loire ?

    Elle demeura muette. Ses connaissances géographiques ne s’étendaient pas encore jusqu’au bassin de la Loire.

    — Mon Dieu ! dit-elle enfin après un moment de silence à son sévère examinateur, qu’as-tu donc aujourd’hui ? Laissons tout cela, nous ne sommes pas en classe, et viens voir mon livre d’images. Tu y trouveras toutes sortes de jolis contes qui te feront bien plaisir.

     


     — Ma chère enfant, fit-il alors d’un ton protecteur le plus plaisant du monde, d’abord les contes de fées ne m’intéressent plus guère. Vous comprendrez ensuite que j’en sais maintenant trop long pour vous. Il n’est plus convenable qu’on nous voie ensemble.

    La pauvre petite ne put trouver d’autre réponse que de se mettre à pleurer, car elle aimait sincèrement son voisin le savant, et il lui semblait bien dur de le perdre à cause du bassin de la Loire et de la proposition principale absolue.

    Comme elle le regardait d’un œil suppliant, ne pouvant se résoudre à s’en aller sans lui, sa marraine entra tout à coup.

    C’était une vieille dame très respectable, et pleine de mérite, bien qu’elle fût peu connue ; mais cela ne vous étonnera pas, quand je vous aurai dit son nom : elle s’appelait la fée Modeste. Elle n’aimait pas beaucoup ces distributions de prix d’où les petits enfants s’en vont avec des couronnes de laurier sur la tête, tout fiers et triomphants, comme des généraux victorieux. Pourtant elle ne voulait rien dire, car si la modestie est une belle chose, ce n’est pas une arme suffisante dans la bataille de la vie, et il faut aussi mettre dans les enfants le germe de l’ardeur et de l’émulation, si l’on veut en faire des hommes. Elle les laissait donc aller sous leurs lauriers, sachant bien que la modestie viendrait toute seule à ceux qui seraient forts un jour. Quant aux autres, elle pensait qu’il y aurait cruauté à leur enlever la petite gloriole qui devait être leur fiche de consolation.

    Le chagrin de sa chère filleule l’avait cependant touchée ce jour-là, et elle venait pour corriger le vilain orgueilleux qui faisait couler ses larmes.

    — Tu ne sais donc rien, ma chère enfant ? dit-elle à la petite fille. Eh bien ! sauras-tu me dire ce qu’il faut faire pour bien vivre ?

    — Oh ! marraine, cela n’est pas difficile. Il faut obéir au bon Dieu, et être bon comme lui avec tout le monde. C’est déjà quelque chose ; mais je conçois que cela ne suffise pas pour aller de pair à compagnon avec un garçon aussi savant.

    — Venez avec moi, mon ami, continua-t-elle en se tournant vers le petit garçon. Vous en savez trop long, c’est vrai, pour fréquenter les petites filles. Ce qui vous convient maintenant, c’est la société des savants et des écrivains.

    Disant cela, elle le prit par la main, et il se trouva subitement transporté dans une des salles de l’Observatoire, où un homme de tournure imposante était assis à une longue table devant un amas de papiers couverts de chiffres. Celui-là était vraiment un grand savant. Il avait travaillé à la mesure de la terre, un travail bien autrement difficile que toutes les règles de trois. Il avait suivi dans sa marche la lumière qui fait 72 000 lieues par seconde, et avait calculé ce qu’il lui faut d’années pour nous arriver des étoiles qui sont nos plus proches voisines. Il pesait, la plume à la main, le soleil et la lune comme avec une balance, et trouvait d’avance par ses calculs le chemin que devaient suivre les corps célestes à travers les espaces infinis qui nous entourent.

    La fée Modeste l’ayant salué, il lui sourit amicalement, et lui rendit son salut comme à une personne de connaissance.

    — Bonjour, maître, dit-elle. Voici un savant que je vous amène pour faire conversation avec vous.

    Le grand homme n’avait pas de plaisir plus vif que de communiquer sa science à qui le désirait. Il tendit la main au petit garçon.

    — Je vous fais mon compliment, lui dit-il. Savant, à votre âge ! C’est très beau. Voulez-vous m’aider à trouver une comète que nous attendons depuis un mois ? Je cherche en ce moment ce qui a pu la retarder en route. Nous chercherons ensemble.

    Chercher les comètes, c’était un peu trop fort pour notre écolier, qui n’était pas allé plus loin que la règle d’intérêt. Il déclina en rougissant la proposition.

    — Eh bien ! nous traiterons une question d’optique, ou d’acoustique, ou d’hydrostatique, à votre choix.

     


    Le pauvre enfant tout épouvanté ne savait plus où se cacher.

    — Vous connaissez au moins les logarithmes ?

    Il répondit, en retenant une envie de pleurer, qu’il ne connaissait pas ces bêtes-là, mais qu’il pourrait bien convertir une fraction ordinaire en fraction décimale.

    Le vrai savant regardait la fée Modeste d’un air étonné, et il allait lui demander quelle espèce de savant elle lui avait amené là; mais elle ne lui laissa pas le temps de parler.

    — Maître, dit-elle, il y a une petite fille qui dit que pour bien vivre il faut obéir au bon Dieu, et être bon comme lui avec tout le monde. En savez-vous plus long qu’elle là-dessus?

    — A Dieu ne plaise que j’aille m’en vanter ! Elle a dit tout ce qu’il y avait à dire, la chère petite.

    — Allons-nous-en d’ici, fit la fée à son compagnon. Il n’y fait pas bon pour vous.

    Aussitôt ils entrèrent dans une vaste maison qui était habitée par un grand historien. De la cave au grenier, on ne voyait partout que livres rangés en ordre de bataille sur des planches qui avaient été clouées aux murs à toutes les places possibles. Il y en avait de si gros qu’un seul aurait fait la charge d’un homme. Il y en avait de tout petits, à mettre dans la poche du gilet. On voyait là des échantillons de toutes les couvertures de livres inventées par les relieurs depuis qu’ils ont des livres à relier, jaunes, rouges, blanches, noires, de toutes les couleurs, en parchemin, en veau, en bois sculpté, en cuir gaufré, en maroquin à filets dorés, avec des fermoirs en argent. Il y avait même de ces vieux livres du temps des Romains, faits d’une longue bande d’écorce préparée qui s’enroule aux deux bouts sur deux gros rouleaux de bois. On tourne les rouleaux en sens inverse, à mesure qu’on avance dans la lecture ; et ceux qui ont lu dans ces livres-là peuvent se vanter d’être savants.

    Ils passèrent d’abord dans une grande salle, consacrée à l’histoire des Égyptiens, des Phéniciens, des Babyloniens et des Perses, et, pour lire les livres qui étaient là-dedans, le propriétaire des livres avait dû apprendre l’hébreu, l’arabe, le persan ancien et moderne, et bien d’autres langues encore dont j’ai oublié les noms. Il savait déchiffrer les hiéroglyphes qu’on trouve sur les obélisques d’Égypte, cela va sans dire; mais tout cela ne lui suffisait pas encore et il ne pouvait pas se consoler de n’avoir pas appris le chinois. Venait ensuite la salle de l’histoire grecque, et naturellement l’historien savait le grec ; puis la salle de l’histoire romaine, et je n’ai pas besoin de vous dire qu’il savait le latin, non pas seulement le latin qu’on apprend dans les collèges, mais aussi le vieux latin des premiers temps de Rome, où le plus fort élève de rhétorique ne voit pas plus goutte que s’il n’avait touché de sa vie un dictionnaire latin. On apercevait de là toute une enfilade d’autres salles consacrées chacune à l’histoire d’un peuple, et il y en avait tout autant aux étages supérieurs. Ils n’allèrent pas plus loin. L’historien était dans la salle de l’histoire romaine, absorbé par un gros livre allemand qu’un autre aurait peut-être trouvé bien ennuyeux, mais qui devait l’intéresser bien vivement, car il ne s’aperçut de leur présence que quand ils furent tout à fait sur lui.

    Confondu à la vue de tant de livres, le pauvre garçon avait supplié la fée de ne pas le présenter comme un savant, lui qui n’avait encore dans sa petite tête que l’imperceptible manuel de l’école.

    Quand le grand historien releva la tête, et qu’il aperçut la fée Modeste, il jeta son livre et lui tendit les mains avec empressement comme à une vieille amie.

    — Soyez la bienvenue, s’écria-t-il ; je ne sais que trop combien j’ai besoin de vous.

    — Maître, dit-elle, voici un petit garçon qui n’est pas encore un savant; mais il sait pourtant en quelle année Rome a été fondée.

    Il sourit doucement.

    — Êtes-vous bien sûr de l’année, mon petit ami?

    — Oh oui ! bien sûr : j’ai récité hier toute la page sans faire une seule faute.

    — Eh bien ! vous êtes plus savant que moi, car je n’en suis pas tout â fait sûr. Il y a même des gens qui, à force d’étudier, sont arrivés à prétendre que Romulus n’a jamais existé ; mais je crois qu’ils vont trop loin.

    Et comme la figure de l’enfant exprimait une profonde stupéfaction, il étendit la main vers cette montagne de livres qui s’élevait jusqu’au plafond de la salle.

    — Si vous connaissiez seulement le quart des erreurs et des mensonges qui sont là-dedans, cher enfant, vous vous étonneriez moins de mes paroles. Ceux qui ne savent rien sont les seuls qui ne doutent de rien.

    — Maître, dit alors la fée, il y a une petite fille qui dit que pour bien vivre il faut obéir au bon Dieu, et être bon comme lui avec tout le monde. Doutez-vous de ce qu’elle dit là ?

    — Le ciel m’en préserve ! Il n’y a pas à douter de ce qu’elle a dit, la chère enfant.

    Le jeune savant commençait à se trouver comme on dit dans ses petits souliers.

    — Je vois bien, mon pauvre garçon, lui dit la malicieuse fée, que ces hommes-là sont trop forts pour vous. Je vais vous mener chez le plus grand écrivain de l’époque. Il vous fera moins peur, et vous pourrez causer grammaire avec lui.

    Le plus grand écrivain de l’époque était une femme. Cela paraîtra peut-être incroyable, d’autant plus que les hommes ne conviennent pas volontiers de ces choses-là. Mais cette fois ils étaient obligés d’en convenir.

    Elle reçut la fée Modeste avec une entière cordialité, dans un salon qui ressemblait à tous les salons du monde, et notre petit garçon se sentit tout à fait rassuré en se voyant en présence d’une dame très simple, qui n’avait rien de particulier que deux grands yeux noirs, avec une flamme dedans. Cependant ses deux premiers échecs l’avaient rendu timide, et il n’osait pas parler le premier.

    — Madame, commença la fée, voici un enfant qui a bien appris sa grammaire ! Il voudrait causer avec vous des règles du langage.

    La dame, qui était pleine de complaisance pour les enfants, se mit à rire.

    — C’est une conversation où je ne brillerai pas beaucoup, répondit-elle. J’écris ce qui me vient, et je ne m’occupe pas précisément des règles. Pourtant, si cela peut vous faire plaisir, mon petit bonhomme, de quoi voulez‑vous parler?

    — Je pourrais bien, dit-il, vous expliquer la différence qui existe entre une proposition principale absolue et une proposition principale relative.

    Elle se prit à rire de plus belle.

    — Quand j’étais petite, il n’était pas question de tous ces mots-là. Je ne sais pas trop ce qu’ils veulent dire, et je me passe très bien de le savoir.

    La fée intervint pour faire cesser l’embarras de l’enfant, qui ne savait plus quelle contenance garder.

    — Il y a, madame, une petite fille qui dit que pour bien vivre il faut obéir au bon Dieu, et être bon comme lui avec tout le monde. Pensez-vous qu’on puisse se passer de ce qu’elle dit là ?

    — Il y a malheureusement trop de gens qui s’en passent ; mais, d’une manière ou de l’autre, ils en sont toujours punis. Si elle était là, je l’embrasserais de bien bon cœur, la brave petite fille ! Elle a dit ce qui est nécessaire à tous.

    — Jusqu’à présent nous avons peu de bonheur, reprit la fée en s’adressant au grammairien déconfit ; mais ne nous décourageons pas encore. Il faut faire le tour de vos connaissances.

    Il se sentit sur-le-champ emporté comme par un tourbillon impétueux, et, quand il revint à lui, il était dans une grande salle, d’une architecture magnifique, avec des cartes étranges suspendues aux murs de tous les côtés.

    Il reconnaissait bien la forme générale des continents, mais il ne retrouvait plus une seule des divisions géographiques auxquelles son œil était habitué.

    — Où sommes-nous ? dit-il à la fée.

    — Au centre dé l’Afrique, mon cher enfant, dans le pays le plus civilisé du globe à l’heure qu’il est, et cette salle est une des salles d’école du pays. Ne vous étonnez pas trop : je vous ai emmené à deux mille ans plus loin que l’époque où vous viviez tout à l’heure. Au même instant les portes s’ouvrirent, et les écoliers entrèrent tous à la fois, les petits garçons d’un côté et les petites filles de l’autre. Il y en avait des blonds et des bruns, des roses et des pâles, des petits et des grands, des tranquilles et des tapageurs, absolument comme à présent : tous avaient la peau blanche.

    — Je croyais qu’on avait la peau noire en Afrique, dit l’enfant à la fée.

    — Il y a longtemps maintenant que la race blanche s’est emparée de toute la terre, et ce que vous avez lu dans votre livre de géographie sur les différentes races humaines ne signifie plus rien aujourd’hui.

    Le maître entra à son tour. C’était un homme de haute taille, richement habillé, avec deux décorations sur la poitrine, car l’emploi de maître d’école était un des plus honorables qu’on connût dans ce pays-là, et les hommes du plus grand mérite accouraient en foule quand il se trouvait une place vacante. Les candidats faisaient chacun une classe l’un après l’autre, et c’étaient les enfants qui choisissaient.

    La classe commença, et notre petit garçon, qui s’attendait à ne rien comprendre, fut tout étonné de voir que le maître parlait français. Il est vrai qu’il n’en fut pas beaucoup plus avancé. Tous les noms étaient changé, et l’on citait des grandes villes, des fleuves célèbres, des contrées florissantes dont il n’avait jamais entendu parler.

    La fée Modeste, qui vit son anxiété, prit la parole :

    — Maitre dit-elle, est-ce que vous n’apprenez pas à ces enfants-là les départements du bassin de la Loire ?

    Le maitre, qui était un homme de mérite, s’inclina devant la fée Modeste car c’est l’usage des hommes de mérite de tous les temps.

    — J’ai vu ce nom de Loire, dit-il, dans un très-vieux livre de géographie, rempli d’erreurs, et où se trahit bien toute l’ignorance du temps, car il ne s’y trouve absolument rien sur le grand pays que nous habitons. Mais il y a longtemps que les départements dont vous me parlez n’existent plus. Tout ce pays s’est affaissé lors du grand tremblement de terre de 2500, et les poissons se promènent maintenant au-dessus des chefs-lieux des anciens départements.

    — Et vous, mon enfant, reprit la fée en s’adressant à une petite fille qui suivait la leçon avec toute l’attention dont elle était capable, pourriez-vous me dire ce qu’il faut faire pour bien vivre ?

    Il faut, répondit l’enfant, obéir au bon Dieu, et être bon comme lui avec tout le monde.

     


    Elle avait à peine fini .de parler que notre savant se retrouva dans sa chambre, avec la fée, devant sa petite amie dont le regard le suppliait toujours.

    Ne trouvez-vous pas maintenant, mon cher monsieur, dit la fée, que sa science vaut bien la vôtre? Vous avez pu mesurer vous-même la valeur de ce que vous savez, et ceux devant qui vous n’êtes rien s’inclinent respectueusement devant ce qu’elle sait. Personne n’en sait plus long qu’elle là-dessus, personne n’en doute, personne ne peut s’en passer ; et cela n’aura pas bougé d’une ligne dans deux mille ans d’ici.

    — Alors, reprit le petit garçon avec un peu de mauvaise humeur, je n’ai plus besoin de me donner tant de peine à l’école, puisque c’est là le cas qu’il faut faire de ce qu’on y apprend.

    — Ah ! le petit scélérat, dit la fée en riant, je savais bien qu’il en viendrait là! Non, mon enfant, il ne faut pas raisonner ainsi. Ces hommes dont la science vous a effrayé n’en savaient pas plus long que vous quand ils avaient votre âge. S’ils n’avaient pas travaillé alors comme vous le faites, ils ne sauraient rien aujourd’hui, et c’est seulement en continuant de bien apprendre que vous pourrez un jour devenir savant comme eux. Cette dame, qui ne connaît pas les mots que vous avez appris, en avait appris d’autres qui disaient la même chose, et qui valaient peut-être mieux. Ce n’est pas enfin une raison pour ne pas étudier la terre que vous habitez, parce qu’elle doit changer après vous. Tous vos amis changeront, et vous aussi; cela dit-il vous empêcher de vivre maintenant en camarade ? J’ai voulu seulement vous montrer que vous aviez tort d’être si fier de votre pauvre petite science, et surtout de la mettre au-dessus de la science des bons cœurs, la seule qu’on ne puisse dépasser, la seule certaine, la seule nécessaire, la seule qui ne change jamais. Embrassez ma filleule, et allez voir ses images : vous l’avez bien gagné.

    Le petit garçon embrassa la petite fille, qui le serra tendrement dans ses bras; il alla voir les images, qui lui plurent infiniment ; il lut les contes, qui lui apprirent toutes sortes de choses dont il ne se doutait pas ; et plus tard, quand sa bonne répétait devant lui qu’il était un grand savant, il se disait en lui-même qu’il n’y a qu’une seule science, la même pour les petits et les grands : Obéir au bon Dieu, et être bon comme lui avec tout le monde.

     

     

      

     


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  • Auteur : Jean Macé

    Recueil : Contes du petit château (1862).

    Niveau : 4.

    Genre : Conte.

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    Les deux amies - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    LES DEUX AMIES 

    (Jean Macé, Contes du Petit-Château)

     

     Il était une fois deux petites filles, une brune et une blonde, qui avaient été élevées ensemble et qui s’aimaient beaucoup, mais pas de la même manière. La première était tout feu et flamme, pleine de fougue dans son affection, et, quand elle embrassait son amie, elle l’étouffait presque. Impérieuse du reste, et ne souffrant aucune contradiction, à la moindre résistance elle entrait en fureur : c’était alors un torrent qui emportait tout. L’autre, qui était douce comme un agneau, la laissait faire dans ses caresses et dans ses fureurs, et ne se lassait jamais de lui céder, car elle l’aimait tant qu’elle ne pouvait pas vivre sans elle.

    Un jour pourtant que son impétueuse amie s’était mise en colère contre une petite fille du voisinage qui ne s’était pas dérangée assez vite pour la laisser passer, et qu’elle menaçait de la battre, la blondine prit la défense de l’opprimée, qui était faible et timide, et qui avait déjà commencé à pleurer. Sur-le-champ elle reçut l’ordre de ne plus jamais parler à cette petite malheureuse, et, comme cela lui paraissait une chose injuste et méchante, elle déclara qu’elle n’obéirait pas.

    Il n’en fallut pas plus pour amener une rupture. Après une scène terrible, où il y eut des cris d’une part et des pleurs de l’autre, l’irascible brunette jura solennellement que c’était fini, et que de sa vie elle ne verrait plus la rebelle. Puis elle courut indignée auprès de sa mère, à laquelle elle se plaignit amèrement de son ingrate amie, et voulut à toute force qu’on la menât le soir au spectacle pour lui faire passer son chagrin. Partout où elle allait, c’étaient sans cesse de nouvelles plaintes, et des explosions de désolation si grandes, qu’on ne savait quels amusements inventer pour la distraire, de sorte qu’à l’occasion de toute cette douleur elle courut de fête en fête pendant zen longtemps.

     

    Les deux amies - Jean Macé (Contes du Petit Château)


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    La pauvre abandonnée était rentrée chez elle sans rien dire, et se tenait tranquillement à ses occupations ordinaires, ne laissant rien paraître de son chagrin, souriant quand il le fallait et ne parlant jamais de l’amie perdue. Mais elle devenait plus pâle chaque jour ; elle n’avait plus d’appétit; ses forces s’en allaient; et à la fin il fallut appeler le médecin qui lui trouva une belle maladie et la fit mettre au lit. Là, tout entière à sa douleur, elle se consuma bien plus vite encore. Bientôt sa faiblesse devint si grande qu’on désespéra de ses jours, et, comme elle n’avait presque plus la force de parler, elle prononça enfin le nom de son amie, demandant qu’on allât la chercher. Ses parents y coururent tout en larmes, et trouvèrent la petite brune au milieu d’un bal d’enfants qu’on avait organisé tout exprès pour la consoler.

    Elle ne voulait pas d’abord y aller.

    — Je suis trop sensible, disait-elle. Malgré tout le mal qu’elle m’a fait, je l’ai tant aimée que je ne pourrai pas supporter de la voir malade dans son lit. Dites-lui que je lui pardonne, et que j’irai quand elle sera guérie.

    Mais comme on insistait, elle n’osa pas refuser, et partit dans son costume de bal.

    A la vue de cette pauvre petite figure tirée et amaigrie, blanche comme la cire, et presque transparente, son cœur se brisa d’un coup et elle fondit en larmes. Se jetant sur le lit, elle serra convulsivement la malade dans ses bras. Elle lui faisait mal ; mais la petite mourante ne semblait pas s’en apercevoir. Son visage s’était illuminé, et des teintes roses venaient de reparaître à ses joues.

    — Mais, mon Dieu ! chérie, qu’as-tu donc ? criait la brune en sanglotant.

    — Je crois, répondit fout doucement la blonde, je crois que j’ai eu un peu de chagrin à cause de toi. Mais te voilà ! Je suis trop contente !

    Et ranimée par la voix de son amie, à elle se mit revivre.


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  • Auteur : Jean Macé

    Recueil : Contes du petit château (1862).

    Niveau : 4.

    Genre : Conte.

    Document proposé par Littérature au primaire.

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    LA FILLE A MARTIN

    (Jean Macé, Contes du Petit-Château)

     

    Il y avait une fois un homme qui avait été bien riche, et qui s’était réveillé pauvre un beau matin. Après avoir fait longtemps figure dans le monde, et avoir touché dans la main aux plus grands personnages, il s’était vu forcé, sur ses vieux jours, de se retirer dans un méchant petit village avec sa fille, une grande et belle demoiselle, habituée dès son enfance à ne rien faire de ses dix doigts, et qui se trouvait bien malheureuse dans sa nouvelle habitation.

    C’était une misérable cabane, aux murs enfumés, avec des fenêtres basses, garnies de vieux carreaux tout éraillés, et une immense cheminée dont la plaque disparaissait sous la suie. Le plafond, encombré de toiles d’araignée, était crépi grossièrement d’une couche épaisse de mortier qui s’écaillait de tous les côtés, et portait dans toute sa longueur sur de grosses poutres noircies et fendillées par le temps. Pour tout plancher, il n’y avait qu’un lit de terre battue, parsemé de pierres qui faisaient bosse çà et là. Sur le devant était une route de campagne, défoncée par les lourdes roues des charrettes, et couverte d’une vilaine boue, jaune et gluante, au milieu de laquelle on rencontrait des flaques d’eau à chaque pas. Derrière la maison, et sur ses côtés, s’étendait un terrain inculte, où quelques fleurs sauvages disparaissaient sous les chardons, et qu’un mur en ruines ne séparait qu’à demi des champs de pommes de terre...

    Jugez si c’était là une demeure faite pour plaire à des gens qui avaient toujours vécu dans de beaux appartements, où de nombreux valets s’empressaient à leurs ordres. Pour tout domestique, ils n’avaient pu trouver qu’une pauvre vieille, à moitié sourde, et ne voyant plus clair que d’un œil, qui faisait tant bien que mal leur petite cuisine, et rangeait à la diable la vaisselle de terre, le vieux linge et les meubles délabrés qui garnissaient la cabane. On la nommait la mère Antoine. Comme presque tous les gens de campagne elle avait sa maison et son petit champ, et elle s’était figuré leur faire une grande grâce en consentant à prendre en main leur ménage, dont personne ne voulait se charger.

    La chère demoiselle se trouvait donc, comme je viens de vous le dire, bien malheureuse là-dedans. Elle aurait donné bien des choses pour avoir encore son piano, et quelquefois elle semblait le chercher de l’œil ; mais il ne fallait plus y penser. Elle avait emporté avec elle une tapisserie, commencée dans des jours meilleurs, avec laquelle elle allait s’asseoir auprès de son père durant les longues heures du jour, et là, elle s’efforçait de dérider de temps en temps la morne figure du vieillard, en lui débitant tout ce qu’elle pouvait imaginer de gai, et elle y avait bien de la peine, car ses pensées n’étaient pas à la gaieté. Mais ses efforts, si pénibles, étaient bien rarement couronnés de succès. Il vient un âge où l’on ne peut plus changer ses habitudes, et si la jeune fille, pleine de vie et de santé, se désolait de son changement de position, je vous laisse à penser quelle devait être la désolation de ce pauvre vieux homme, tout perclus d’infirmités, et dont l’estomac débile se révoltait contre les préparations peu savantes de leur nouvelle cuisinière.

    Aussi sa vie n’était qu’une plainte continuelle. Le pain était mal cuit et plein de son, la viande sèche et brûlée. La soupe avait un goût d’eau de vaisselle. Les fenêtres laissaient entrer le vent, et ne laissaient pas entrer le jour. La cheminée fumait, et ne chauffait pas. Tout était sale, tout traînait dans la maison. Jamais on n’avait vu femme plus malpropre et plus négligente que la mère Antoine.

    À cela la bonne vieille, qui avait toujours été maitresse chez elle, répondait, sans se gêner, tout ce qui lui passait par la tête, et l’on n’avait pas facilement le dessus avec elle. La demoiselle essayait parfois d’intervenir, soit pour calmer son père, soit pour mettre fin aux insolences de la vieille ; mais elle n’y réussissait guère. Tout ce qu’elle y gagnait le plus souvent, c’était quelque rebuffade de son père, ou quelque bon coup de langue de l’autre, qui la remettait à sa place le plus cavalièrement du monde.

    Un matin, le vieillard se réveilla de plus mauvaise humeur encore que de coutume. Son lit s’était défait pendant la nuit, et il avait mal dormi. Il se sentait la tête lourde et les yeux brûlants, et maugréait en lui-même contre sa maudite femme de ménage. Mère Antoine, s’écria-t-il dès qu’elle entra, combien de fois ne vous ai-je pas recommandé de mieux border les draps, et de replier la couverture au pied du lit ? Vous ne tenez aucun compte de ce que je vous dis, et, grâce à vous, je viens de passer une nuit affreuse.

    — Mon cher père, dit la fille qui voyait venir un orage, ne vous serez-vous pas trop agité cette nuit ? Le lit paraissait bien fait hier au soir.

    — Non, mademoiselle, reprit-il d’une voix rude, non, mademoiselle, je ne me suis pas trop agité. Si vous aviez un peu plus de considération pour votre père, vous ne soutiendriez pas cette femme contre lui. C’est à moi, il me semble, à décider si mon lit est bien ou mal fait.

    — Ah ça ! mon cher monsieur, lui dit la vieille en se plantant droit devant lui, est-ce que vous vous figurez, par hasard, que je vous ai attendu pour apprendre à faire un lit ? Je vous dis, moi, que ma manière est bonne et ce n’est pas à mon âge que j’irai la changer. Feu mon pauvre défunt, qui vous valait bien, s’en est contenté pendant trente-cinq ans, vous ferez comme lui, s’il vous plaît.

    C’était un peu dur, vous en conviendriez, de s’entendre dire de ces choses-là après avoir eu des domestiques qui ne parlaient qu’à la troisième personne Monsieur m’a appelé ?... Que désire Monsieur ?... Si Monsieur veut bien le permettre ! Pendant que le pauvre vieillard, rouge de colère et d’indignation, cherchait une réponse sans la trouver, sa fille, outrée d’un pareil manque de respect, se leva brusquement, et, prenant la mère Antoine par le bras, elle lui fit faire volte-face vers le petit réduit qui servait de cuisine.

    — En voilà assez, dit-elle; allez faire votre déjeuner.

    Ses yeux étincelants de courroux et son geste impérieux en imposèrent à la vieille, qui n’essaya pas de résister ; mais elle ne se tenait pas pour battue. Elle s’achemina en grommelant du côté de son fourneau, et, pendant qu’elle allumait le feu, elle mâchonna entre ses dents, assez haut toutefois pour qu’on l’entendît :

    — S’ils ne sont pas contents, qu’elle le fasse elle-même ! En voilà encore une pour faire la fière, que la fille à Martin!

    Il faut vous dire qu’il n’y avait pas de passe-ports dans ce temps-là, ni de maire devant lequel il fallût décliner ses noms, prénoms et qualités en arrivant dans un endroit. Tout humilié de tomber si bas, et plein de dédain pour l’entourage plus que modeste auquel il était désormais condamné, le père n’avait dit son nom à personne, et sa fille avait fait comme lui, si bien que les gens du village s’étaient grandement fâchés contre eux. Dans les grandes villes un voisin de plus, on n’y fait pas attention, mais à la campagne, c’est une autre affaire. Là, les sujets de conversation sont rares, et quand il en survient un bon, on ne le laisse pas volontiers tomber dans l’eau. Un monsieur qui arrivait comme cela à l’improviste de la capitale, avec une demoiselle qui conservait encore de grands airs sous sa robe de laine râpée, il y avait là, bien sûr, toute une histoire ; et ne pas même dire son nom, c’était aussi par trop indignement voler la curiosité des gens. Au dépit de la curiosité trompée se joignait une amère rancune du mépris que témoignait ce silence obstiné. Le paysan n’aime pas qu’on ait l’air de faire fi de lui quand on vient vivre à ses côtés, et c’est, ma foi, un sentiment bien naturel : tout le monde en est là. Le bel esprit de l’endroit finit par trouver une vengeance au gros sel qui les remit tous en belle humeur.

    Il y avait dans le village un âne qui portait à la ville le beurre et les paniers d’œufs, et qui, selon l’usage des ânes de la foire, s’appelait Martin. Il fut décidé, sur la proposition de notre homme, qu’on donnerait son nom au mystérieux citadin, pour le punir ; et, comme il fallait bien nommer aussi la demoiselle, on en avait fait la fille à Martin. Cela était assurément peu généreux, car il n’y a que les gens sans éducation qui puissent insulter les malheureux ; mais c’est qu’aussi ceux-là n’avaient pas reçu d’éducation, et ils ne se piquaient pas de savoir-vivre.

    Le mal eût été petit si cette grossière plaisanterie n’avait pas franchi le cercle de ceux qui l’avaient imaginée. Malheureusement l’écho en était arrivé aux oreilles de la jeune demoiselle qui en souffrait cruellement, moins pour elle que pour son père, si indignement outragé. Figurez-vous quelles durent être sa honte et sa douleur en s’entendant donner ce sobriquet odieux dans sa propre maison, à deux pas de son père, qui, heureusement, n’avait rien entendu, car il aurait demandé des explications, et, de l’humeur dont était la mère Antoine, elle ne se serait pas fait prier longtemps pour tout lui dire.

    Le déjeuner se ressentit naturellement de la scène qui l’avait précédé. Il fut détestable, et le vieillard s’étant levé de table, le front tout soucieux, la jeune fille vint s’asseoir timidement à côté de lui, sa fidèle tapisserie à la main. Hélas ! elle venait de s’apercevoir que la laine allait lui manquer, et l’argent manquait aussi pour en acheter d’autre. Cela coûte cher, la laine à tapisserie ! Ce n’est pas un travail, c’est une ruine, quand on n’est pas riche. En vain essaya-t-elle d’entamer la conversation. Ses avances furent reçues avec froideur, et bientôt une phrase, plus sèche que les autres, lui signifia clairement qu’elles étaient importunes.

    Elle se leva, le cœur gonflé de chagrin, et sortit sans rien dire. Un petit sentier à peu près sec, pratiqué dans la boue par les piétons, serpentait le long de la route. Elle s’y engagea machinalement, et se prit à réfléchir à sa triste destinée. Sans doute les privations de cette vie misérable ne lui étaient pas indifférentes, et ce changement si brusque d’habitudes l’avait fait plus d’une fois soupirer ; mais ce n’était pas à cela que ses pensées s’arrêtaient. Elle voyait avec terreur son père s’éloigner d’elle chaque jour davantage, un père si tendre pour elle et si bon autrefois ! Elle se rappelait, quand elle était petite, comme il la dévorait de caresses ; comme il aimait à la tenir sur ses genoux, à passer sa main dans ses petites boucles à jouer, à jaser avec elle ; et, comme ses yeux se remplissaient de larmes au moindre bobo, au moindre chagrin qu’elle avait. Et plus tard, quand sa pauvre mère les avait quittés, et qu’ils étaient restés seuls ensemble, de combien d’amour l’avait-il entourée ! Pour sa fille, son idole, plaisirs, affaires, il quittait tout sans jamais hésiter. Un sourire, un regard obtenaient tout de lui ; et, s’ils étaient pauvres à cette heure, son empressement à satisfaire tous les caprices de ce cher despote, à les prévenir quelquefois, y étaient bien aussi pour quelque chose. Maintenant il la regardait d’un œil sec, quand elle avait l’âme pleine d’angoisses, et, malheureux comme il était, il ne voulait même plus de ses consolations. C’était là surtout ce qui lui fendait le cœur, car la brave fille aimait son père. Elle se sentait prête pour lui à tous les sacrifices, et la pensée de son impuissance à lui rendre la vie plus douce était pour elle un poids qui l’étouffait.

    Tout en repassant ces choses dans sa tête, elle était arrivée devant la fontaine. Elle s’assit sur une des marches par où l’on montait pour puiser l’eau et cachant sa figure dans ses mains, elle éclata tout à coup en sanglots. Elle sanglota, sanglota longtemps, sans être dérangée, car tout le monde était aux champs à cette heure-là. Soulagée enfin par le torrent de larmes qui avait coulé de ses yeux, elle essuyait ses joues humides et allait se lever, quand une femme, qu’elle n’avait pas vue venir, mit le pied sur la marche où elle était assise.

    C’était une dame de grand air, belle comme une reine et richement habillée, la maîtresse du château qu’on apercevait à quelques centaines de pas en avant du village. Elle avait à ses ordres une armée de domestiques ; mais c’était pour elle un besoin de travailler et d’exercer ses forces, et elle venait elle-même chercher de l’eau à la fontaine dans un baquet mignon, cerclé en argent, qu’elle portait fièrement sur l’épaule. Ajoutons qu’elle le portait avec une grâce et une tournure dont n’approchent point les plus élégantes de celles qui balayent aujourd’hui avec leurs robes les allées du bois de Boulogne. Il fallait la voir, les jours de moisson, s’en aller aux champs avec ses femmes, sa faucille d’or à la main. Les paysans les plus sauvages s’écartaient respectueusement sur son passage ; et jamais lady anglaise, présentée à la cour, n’excita un murmure d’admiration pareil à celui qui accueillait notre belle châtelaine, quand elle revenait, le soir, montée sur le grand chariot de gerbes, l’œil brillant, les joues roses, et tenant dans ses bras quelque gros enfant joufflu qui l’avait couronnée de bleuets. Tout lui réussissait à un point qu’on ne saurait dire. Là où les autres gagnaient des cents francs, elle en gagnait des mille ; et là ou ils en dépensaient des mille, elle en dépensait des cents. Personne n’y pouvait rien comprendre ; mais la vérité, c’est qu’elle était fée. Seulement elle n’en parlait pas pour ne pas faire de bruit dans le pays.

    Quand elle vit cette pauvre demoiselle, à peine remise de ses sanglots, qui essuyait ses dernières larmes avec un mouchoir tout trempé, elle en eut grande pitié, et déposant le baquet sur la margelle de la fontaine :

    — Qu’avez-vous, ma chère enfant, lui dit-elle, que vous pleurez ainsi ?

    — Hélas ! madame, je pleure l’amour de mon père qui s’en va chaque jour plus loin de moi.

    — N’êtes-vous pas la fille de cet homme qui est venu dernièrement s’établir ici ?

    Oui, madame, répondit l’autre en rougissant, car elle pensait à Martin, et se doutait bien que l’histoire en était connue partout.

    — Votre père se trouve donc bien malheureux ?

    — Oh ! oui, bien malheureux ! et c’est encore là ce qui me désole, car Dieu m’est témoin que je donnerais ma vie pour lui.

    La belle porteuse de baquet sourit tranquillement.

    — Il n’est pas besoin de tant que cela, dit-elle. Promettez-moi seulement de bien vous servir du don que je vais vous faire :

    TOUT CE QUE VOU-S TOUCHEREZ DE VOS MAINS RÉJOUIRA LE COEUR DE VOTRE PÈRE.

    Allez, et ne pleurez plus. Vous étiez sa fille : vous serez sa mère. Il vous aimera d’un amour que vous ne connaissez pas.

    Disant cela, elle emplit d’eau son baquet mignon, et l’emporta d’un pas rapide et léger, répandant autour d’elle comme un souffle de force et de courage, à rendre vaillants les cœurs les plus mous.

    La demoiselle se sentait comme transformée par les bonnes paroles de la fée. Sans plus attendre, elle reprit le chemin de la maison, et, cette fois, ce fut avec un sentiment inexprimable qu’elle aperçut de loin l’humble toit dont l’aspect l’avait tant de fois fait frissonner. Un devoir sacré l’y attendait, et elle avait hâte de mettre à profit le pouvoir magique que ses mains venaient de recevoir.

    Comme elle approchait, l’enfant du voisin, un robuste et frais marmot qui barbotait avec ses petits pieds nus dans la houe, lui tira méchamment la langue en criant :

    — Oh ! la fille à Martin !

    Il jeta même de son côté une pierre qui l’éclaboussa en tombant ; et le père, grand gaillard bien découplé, qui fumait une petite pipe, appuyé contre sa porte, regardait cela en riant de ce grand rire silencieux, si insupportable aux gens de la ville. Mais la fille à Martin avait le coeur trop rempli d’allégresse pour se fâcher. Elle jeta avec bonté sur l’enfant un regard de doux reproche qui le rendit tout honteux, et il courut se cacher dans les jambes de son père. Celui-ci eut honte à son tour. Il ôta sa pipe de sa bouche, et dit en s’inclinant gauchement

       Ne faites pas attention, mademoiselle. Il n’est pas méchant.

     

    II

    Cependant le vieillard était rentré en lui-même après le départ de sa fille, et il s’était repenti d’avoir été si injuste avec elle. Lui aussi s’était rappelé le passé. N’avait-il rien à se reprocher avec cette pauvre enfant qu’il avait élevée dans le luxe et l’oisiveté, qu’il avait habituée à tant de soins et de caresses, et qui venait de tomber dans une existence si triste, sans même y rencontrer dans son père un consolateur et un soutien. L’amour d’autrefois, qui s’était engourdi dans son cœur, glacé par l’infortune, se réveilla subitement et réchauffa tout son être. Il ramassa la tapisserie qu’elle avait laissée tomber en se levant, et il la regardait d’un œil distrait, l’esprit perdu dans les souvenirs du temps passé, quand la demoiselle entra. Sans se dire un mot, et d’un même mouvement, ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, et se tinrent longtemps embrassés. Ils ne pensaient plus, en ce moment, à la mère Antoine, ni au mauvais lit, ni aux misères de la pauvre cabane qui leur semblait s’être illuminée.

    La jeune fille se dégagea la première de ce bienheureux embrassement, et lançant à son père un de ces sourires malicieux qu’elle avait pour lui jadis, quand elle lui préparait une surprise :

    — Voilà une fenêtre bien sombre, dit-elle ; voyons si je saurai la nettoyer.

    — Y penses-tu, chère enfant ? s’écria-t-il ; laisse cela à la mère Antoine.

    Et il voulait lui ôter des mains le torchon qu’elle avait déjà trempé dans une petite écuelle ; mais elle n’eut garde de le lâcher, pressée qu’elle était de voir ses mains à l’œuvre.

    — La mère Antoine n’est pas aussi habile que moi, cher père. Tu vas en juger.

    Tout en parlant, elle avait sauté légèrement sur une chaise et déjà le torchon était en danse. Elle le passait ferme et vite sur les carreaux, mouillait et frottait, et jouissait avec ravissement de la transformation merveilleuse qui s’opérait sous ses doigts agiles. Ce fut seulement quand elle eut fini, et que, sautant à bas de sa chaise, elle se recula pour contempler son œuvre, ce fut seulement alors que son père put se rendre compte de ce qu’elle venait de faire.

    Les carreaux étincelaient comme des diamants dans leurs châssis repeints à neuf, et garnis de bonnes espagnolettes en bronze poli, qui défiaient toutes les furies du vent. Des rideaux en damas bleu s’étaient accrochés d’eux-mêmes et retombaient en plis gracieux de chaque côté. Un beau rayon de soleil, envoyé par la fée, vint jouer tout à coup dans ces magnificences pour les rendre plus séduisantes. Le coup d’œil était si joli qu’il arracha au vieillard un cri de surprise et d’admiration, et sa fille se sentait plus fière qu’une reine, en voyant la joie qui se peignait sur tous ses traits.

     

    Le premier essai avait été trop heureux pour en rester là. Elle travailla jusqu’au soir avec une ardeur qui allait toujours croissant, car selon la promesse de la fée, partout où ses mains passaient, elles laissaient derrière elles des merveilles. Elle commença par balayer le plancher, et toutes les pierres que touchait son balai s’étalaient en dalles carrées de différentes couleurs, qui finirent par se réunir toutes, en dessinant de charmantes arabesques. Puis ce fut le tour du plafond. Caressées par le balai, les poutres prirent des tons de chêne vernissé, et se relevèrent de filets d’or qui égayaient la vue. Le crépissage informe se changea en stuc brillant, et les toiles d’araignées devinrent d’adorables peintures, où de gros amours roses conduisaient avec de longs rubans, des chèvres mutines et des moutons frisés. Un magnifique papier blanc à gaufrures satinées, avec une bordure bleu et argent, parut bientôt sur le mur ; puis la cheminée se métamorphosa ; puis les meubles, à mesure que les mains magiques se posaient sur eux.

    Épuisée enfin de fatigue et de joie, la demoiselle se laissa tomber sur une charmante causeuse de velours, qui n’avait été jusque-là qu’une vieille chaise de paille, boiteuse et défoncée, et se battit des mains à elle-même, en s’accompagnant d’un petit rire, frais et clair comme le chant d’un oiseau. Son père qui la suivait du regard, en silence, depuis le commencement, son père vint s’appuyer alors sur le dos de son siège. Il lui prit la tête entre ses mains qui tremblaient, et, se penchant sur elle, il l’embrassa au front. Une larme, qu’elle sentit tomber chaude sur sa joue, l’aurait récompensée de tout ce travail, si le travail n’avait été lui-même tant prodigue de récompenses.

    En ce moment, la mère Antoine entra pour préparer le dîner. Dans son premier étonnement, elle leva les bras en l’air, ouvrit de grands yeux et une grande bouche, mais ne put articuler une parole.

    — Eh ! Seigneur mon Dieu ! s’écria-t-elle enfin, d’où vous vient tout cela, ma chère et bonne demoiselle ?

    Il n’était plus question de la fille à Martin, comme vous pouvez croire.

    Je l’ai trouvé en faisant votre ouvrage, mère Antoine, et je veux continuer. Laissez-moi faire le dîner : vous reviendrez pour laver la vaisselle.

    Et la voilà qui se met à fureter dans les armoires, cherchant le beurre d’un côté, la viande de l’autre, goûtant aux petits pots pour distinguer le sel du sucre en poudre, car elle ne connaissait la place de rien. Elle en eut pour un bon quart d’heure d’apprentissage, et ce ne fut pas non plus une petite affaire que d’allumer le charbon. Mais elle n’eut pas à regretter ses peines, quand après avoir bien tâtonné, et s’être plus d’une fois brûlé le bout des doigts, elle put enfin dresser triomphalement son couvert sur l’ancienne petite table de bois blanc, à pieds branlants dont l’acajou se marbrait maintenant de veines chatoyantes. Linge damassé, verres de cristal taillé, fine porcelaine et couverts en argent ciselé, le vieillard ne reconnaissait plus rien de son vieux service, et vous devinez bien pourquoi. Ses yeux s’arrêtaient surtout avec complaisance sur les tranches d’un joli pain, blanc comme la neige, à la croûte ferme et dorée, qui tenait la place de cette grosse miche indigeste, sa terreur habituelle. Je ne sais plus trop ce qui parut sur la table, si ce fut un filet de chevreuil, ou bien une poularde truffée; mais quelque fut le plat, il parut un morceau de roi aux deux convives, qui déclarèrent d’un commun accord n’avoir jamais mangé rien de pareil.

     Ils étaient encore à le vanter entre eux, quand reparut la mère Antoine. Elle commença par desservir la table, d’un air très respectueux, ma foi et sans se mêler à la conversation, comme elle en avait la déplorable habitude, elle se mit en devoir de laver les assiettes.

    Soudain la jeune fille courut à elle, en poussant un cri d’horreur. La malheureuse vieille était en train de défaire tout son ouvrage. Dans ses mains, qui n’avaient pas été douées par la fée, la belle porcelaine redevenait vieille faïence ; les cuillers et les fourchettes n’étaient plus qu’en fer battu; ce qui restait du joli pain s’était changé en un morceau de miche massive, le plat si vanté en un affreux ragoût, qui nageait dans une sauce roussâtre. Il fallut lui ôter tout des mains.

    — Merci de votre peine, mère Antoine. Demain matin, je vous donnerai les commissions pour le village : je me charge du reste.

     


    Elle poussa bien un petit soupir en plongeant ses belles mains blanches dans l’eau de vaisselle, qui menaçait de les rougir à la longue. Mais il n’y avait pas à reculer, et tout ce bien-être dont elle venait de faire la conquête pour son père valait bien la peine d’un sacrifice.

    Après avoir réparé le mal en touchant de nouveau toutes les pièces de son beau service, pour le remettre en ordre, elle dit à son père :

    — Maintenant je veux refaire ton lit, pour être sûre que tu dormiras bien. Une demi-heure après, l’heureux vieillard prenait possession d’un lit bien rebondi, garni de moelleuses couvertures, de larges oreillers, et de linge qui sentait bon. Il ne fit qu’un somme jusqu’au lendemain matin.

    Comme il ouvrait les yeux, il aperçut sa fille occupée à brosser ses vieux habits, et il ne fut pas peu surpris de les trouver tout neufs en s’habillant.

    Je n’ai pas besoin de vous décrire tout le bonheur qui régnait dans cette maison. La fille allait et venait en chantant, fière de son pouvoir, et tout entière au soin de ses trésors. Le père se sentait revivre, et contemplait sa vaillante enfant d’un air de respectueuse reconnaissance qui vous eût fait venir les larmes aux yeux. Dans la matinée, la fée parut à la porte, et fit un signe à sa protégée qui courut la rejoindre. Elles allèrent ensemble derrière la maison, et là, montrant le terrain inculte :

    — A présent, dit la fée, il est temps de s’occuper du dehors. La campagne ne demande pas mieux que d’être belle ; mais il faut l’aider.

    — Eh ! que puis-je faire ? répondit la demoiselle je n’ai jamais touché à la terre.

    — Il faut y toucher, mon enfant. C’est le seul moyen de faire connaissance avec elle.

    Elle lui donna une petite bêche qu’elle tenait à la main, et un sac rempli de paquets de graines sur lequel elle souffla trois fois ; puis elle disparut.

    Ce fut encore une journée bien laborieuse; mais au moment où le soleil allait se coucher, tout était fini ; et, d’une voix joyeuse, la bonne fille appela son père, qui recula de surprise en apercevant un jardin miraculeux, tel que les jardiniers ne savent pas en faire. Tout avait poussé par enchantement. Les arbres étaient déjà grands et tout couverts de feuilles et de fruits : les oiseaux mêmes y avaient leurs nids. Le mur, partout relevé, disparaissait sous les espaliers chargés de pommes, de poires, de pêches et d’abricots; des pieds vigoureux de chasselas rouge tapissaient la maison d’une fraîche verdure, et laissaient pendre de tous les côtés leurs grappes vermeilles qui semblaient inviter la main à les cueillir.

    On se promena dans les allées que bordaient de grosses touffes de fraisiers ananas, et, chemin faisant, la belle jardinière nommait à son père toutes les fleurs dont elle cueillait les plus belles pour lui faire un gros bouquet. Elle le conduisit enfin vers un banc de gazon, ombragé par un épais buisson de noisetiers; et là, ils assistèrent en silence au coucher du soleil, qui descendait derrière les montagnes, au milieu d’un ciel enflammé. Une fauvette entonna sa chanson au-dessus de leurs têtes ; et, dans le lointain, on entendait la corne du pâtre qui rappelait le bétail dispersé dans la prairie.

    — Merci, ma chère amie, fit le vieillard en serrant les mains, déjà un peu hâlées, de sa fille.

    Il ne put en dire davantage; mais leurs regards se rencontrèrent, et ils se sourirent comme on doit se sourire au paradis.

    Le lendemain, nouveau travail, nouveau triomphe, assez chèrement acheté, il est vrai. La fée était encore venue, et présentant à la bonne travailleuse une petite paire de sabots et une racloire légère, dans le genre de celles qu’emploient les gens qui ratissera la boue sur les routes, elle lui avait montré du doigt l’horrible chemin qui bordait la maison. Puis elle avait disparu, comme la veille.

    Pour le coup, il y eut quelque chose en elle qui se révolta. Elle vit en pensée ses amies de salon et les fiers cavaliers qui papillonnaient jadis autour d’elle, défiler dédaigneusement devant la balayeuse de route et il lui semblait que cela serait mis le lendemain dans la gazette. Et il n’était pas besoin du jugement des autres pour l’effrayer : cette vilaine mare de boue lui inspirait bien déjà assez de répugnance. Si la fée était restée, nul doute qu’on eût trouvé mille bonnes raisons pour lui rendre son malencontreux présent. Mais que faire ? Elle était bien loin, et pouvait-on se risquer, après tant de bienfaits, à la mécontenter en lui désobéissant ? La demoiselle finit par en prendre son parti. Elle chaussa les sabots, sans trop faire la grimace ; puis fermant soigneusement la porte, pour que son pauvre père ne la vît pas, elle attaqua bravement la boue avec sa racloire, et commença à la ramener vers le fossé.

     

    Aussitôt, comme à un coup de cloche, on vit sortir hommes et femmes de toutes les maisons, qui avec sa pelle, qui avec son balai, et chacun se mit à travailler à tour de bras dans le chemin. Au bout d’une heure, aussi loin que la vue pouvait s’étendre, on n’apercevait plus une tache de boue, et le chemin desséché, sablé, uni comme une allée de jardin, était devenu la plus agréable promenade, la plus douce au pied qu’on pût désirer.

    Un appel joyeux fit paraître le père sur le seuil de sa porte. Sans lui donner le temps de s’extasier et d’interroger, sa fille le prit par le bras et l’entraîna sur la belle route neuve. C’était la première fois qu’il sortait depuis son installation dans la cabane. Il ne s’était pas encore senti le courage de s’aventurer dans toute cette boue, et il faisait là un véritable voyage de découverte. Le temps était magnifique. La petite rivière qui arrosait la prairie brillait au soleil comme un ruban d’argent; les oiseaux chantaient dans les arbres, et la bonne odeur des foins coupés montait d’en bas, par bouffées, jusqu’à nos promeneurs.

    — Nous pouvons encore être heureux ici, dit le père ; et il ajouta d’une voix émue :

    — Grâce à toi, chère enfant !

    Après avoir été bien loin, ils s’en retournaient à pas lents, savourant à l’aise les délices de leur promenade, quand l’enfant du voisin, qui les regardait venir, accourut au-devant d’eux en gambadant.

    — Oh ! le sale enfant, fit le vieillard. Il est à ne pas prendre avec des pincettes.

    Elle attira doucement le petit à elle, lui passa son mouchoir sur la figure et ses mains dans les cheveux, et le présentant à son père :

     — Tu ne l’as pas bien regardé, dit-elle. Vois comme il est joli !

    De fait, elle l’avait nettoyé en un clin d’oeil comme il ne l’avait jamais été, et il ne se pouvait rien voir de plus joli que le petit fripon, avec ses belles joues roses, ses grands yeux bleus à la fois timides et sauvages, ses cheveux blonds plus fins et plus brillants que la soie, et sa bouche mignonne qui souriait gentiment à la belle demoiselle. Entre les vieilles gens et les petits enfants, le bon Dieu a rendu l’amitié facile, parce qu’il voulait qu’ils se tinssent compagnie. Attiré involontairement par tant de gentillesse, le vieillard se pencha en tendant les bras et l’enfant, subitement apprivoisé, s’y jeta en riant. L’amitié était faite et ils emmenèrent leur petit compagnon jusqu’à sa porte, où son père le reprit avec ce gros sourire agaçant dont j’ai déjà parlé.

    — Comment un animal pareil peut-il avoir un si bel enfant? murmurait l’ancien grand seigneur, en s’asseyant sur le banc de gazon dans son jardin.

    — Laissez-moi vous le présenter, mon cher père, reprit sa fille.

    Et marchant droit au paysan, qui la regardait d’un air étonné, elle le prit par la main, et lui dit gracieusement :

    — Ne voudriez vous pas, monsieur, conduire votre enfant à mon père ?

    Quelle fut la surprise du fier vieillard quand l’animal de tout à l’heure se trouva transformé en un homme digne et poli, dont les manières avaient certes plus de noblesse dans leur simplicité que celles de beaucoup de gros richards qu’il avait vus se pavaner dans les salons ! Le regard s’était allumé; le rire niais avait fait place à une expression intelligente et sérieuse ; l’homme s’était redressé dans sa grande taille, et il entendait faire honneur à une attention qui le flattait. Le simple contact de la main enchantée avait suffi pour le changer des pieds à la tête.

    Ils causèrent longtemps, le paysan écoutant avec intérêt ce qu’on lui racontait de la ville, et parlant en très bons termes des choses de la campagne qui étaient nouvelles pour eux. L’enfant s’était accroché à la robe de la demoiselle, et, tenu en respect par la présence du papa, qui ne badinait pas, il avait fini par s’endormir entre ses genoux. Quand le voisin prit congé, emportant dans ses bras son garçon endormi, c’était un ami, et nos pauvres exilés n’étaient plus seuls au monde.

    Vous croyez peut-être que c’était assez de prodiges comme cela, et que la fée devait être contente de tout ce qu’avait fait son élève. Eh bien ! cela ne lui parut pas encore suffisant. Elle reparut de nouveau, cette fois avec un grand panier à provisions, et le mettant au bras de la jeune fille :

    — Ceci est mon dernier cadeau, lui dit-elle, et il ne fera pas honte aux autres. Allez faire vos achats vous-même : les pièces d’argent deviendront des pièces d’or entre vos mains.

    Il fallut obéir. Tous les matins, on la voyait partir, son grand panier au bras, et comme les pièces d’argent devenaient des pièces d’or entre ses mains, il ne manqua plus jamais rien dans le ménage. Les marchands, qui l’aimaient à cause de sa bonne mine et de ses façons honnêtes, mettaient toujours de côté pour elle ce qu’il y avait de meilleur dans leurs boutiques. Tout le monde lui faisait fête, car elle était en grande considération dans le village depuis qu’on l’avait vue si brave au travail et si dévouée à son père ; et celui qui avait inventé la plaisanterie de la fille à Martin ne savait plus où se cacher, quant il la voyait arriver.

    Un jour, le fils du roi vint à passer par là, comme la demoiselle s’en retournait à la maison, son grand panier sous le bras. Il la reconnut pour avoir dansé autrefois avec elle dans les bals de la cour, et je crois même qu’elle ne lui avait pas été dans ce temps-là tout à fait indifférente. Il ignorait l’histoire de la ruine de son père, car il se passe tant d’événements autour des rois, que beaucoup leur échappent. Surpris de rencontrer sa belle danseuse dans un tel équipage, il s’informa d’elle auprès des gens du lieu, et ce fut un concert d’éloges unanimes. On lui raconta comment elle avait sauvé son père des horreurs de la misère ; on lui dit toutes les merveilles écloses sous sa main, et il ne pouvait se lasser d’en faire recommencer le récit. Il était tout songeur en partant, et, dans la nuit, il rêva d’une petite main blanche qui faisait des miracles.

     

     

     

    III

     

    L’hiver était venu, et le bon vieillard s’affaiblissait tous les jours. Comme le froid devenait rigoureux, et que ses habits n’étaient plus de saison, il fut convenu que sa fille irait à la ville lui en acheter d’autres. C’était une bien grande course, et, si elle avait pu, elle aurait bien volontiers envoyé quelqu’un à sa place, car cela lui déplaisait fort de quitter son père, pour toute une journée, dans l’état de santé où elle le voyait. Mais sa main seule avait le privilège de changer les pièces d’argent en pièces d’or, et, quand on est pauvre, il faut bien souvent se résoudre à des choses dont l’idée révolterait les gens riches.

    Elle se mit donc en route de grand matin, après avoir bien recommandé son père à la femme du voisin, et lui avoir montré où elle pourrait prendre tout ce dont il aurait besoin; et tant que dura le jour, elle marcha en toute hâte, tant dans la ville que sur les chemins. Enfin, vers le soir, elle rentra bien fatiguée, et, avant de songer à se débarrasser du gros paquet, qu’elle apportait, elle courut à son père, qu’elle venait d’apercevoir étendu dans le lit. La voisine, assise à côté de lui, essayait de lui faire avaler une potion, évidemment prescrite par le médecin, car l’ordonnance était encore sur la table. Mais il semblait ne pas la voir, et ses yeux hagards se fixaient obstinément du côté du mur.

    Sa fille y regarda, et quelle fut son épouvante, quand elle vit la Mort, debout dans la ruelle, qui tenait de sa main décharnée le vieillard à la gorge, et lui disait avec un ricanement cruel :

    — Dépêchons-nous je suis pressée. Viens avec moi dans la terre.

    La pauvre enfant se sentit le cœur bien affreusement serré à cet horrible spectacle ; mais elle se garda bien de se trouver mal, quand on avait tant besoin d’elle. Déposant son paquet elle prit la potion des mains de sa voisine, et la tendit d’une main à son père, pendant que de l’autre elle redressait les oreillers qui s’étaient affaissés.

    Il sourit en la reconnaissant, et but sans difficulté. Quand elle releva les yeux vers la ruelle, la terrible apparition avait fait place à une belle femme, vêtue de blanc, dont la figure pale et amaigrie avait une expression de douceur enchanteresse. L’une de ses mains était posée sur l’épaule du vieillard ; de l’autre, elle lui montrait le ciel et son grand œil bleu, abaissé sur lui, l’appelait avec bonté.

    — Où voulez-vous m’emmener ? murmura-t-il avec un reste d’effroi.

    — Tu le sauras tout à l’heure. Ne tremble pas : ce n’est rien de mauvais.

    Il parut s’apaiser, et déjà sa figure rayonnait d’une sorte de joie solennelle, quand son regard rencontra la jeune fille qui pleurait en silence, et l’angoisse reparut sur ses traits, car il se rappela qu’il allait la laisser seule. Mais la bonne fée arriva en ce moment au chevet de son lit. Elle se pencha sur lui, et lui glissa ces trois mots dans l’oreille :

    — J’aurai soin d’elle.

    Il s’endormit alors, le sourire sur les lèvres, et la main dans la main de sa fille.

    Quand on vint le chercher pour l’emporter au cimetière, la courageuse enfant l’accompagna jusqu’au bout ; et, après la cérémonie, elle voulut lui embellir encore sa nouvelle demeure. Bientôt sa tombe se couvrit de fleurs et de verdure. Des branches de lierre rampaient tout autour, et des rosiers nains, des pensées, des violettes et des pervenches s’y pressaient entre deux petits sapins, qui dressaient à chaque bout leurs têtes effilées, d’un joli vert tendre. Ce fut le dernier service que ses mains rendirent à ce père bien-aimé, et elle reprit ensuite le chemin de sa maison, ralentissant ses pas, et avançant comme à regret, tant elle craignait d’y rentrer.

    Sur le seuil de la porte, elle trouva la reine qui l’attendait avec ses femmes,  et qui lui dit en l’embrassant sur le front :

    — J’ai entendu parler de vous, mon enfant, et je viens vous chercher. Venez dans mon palais : je m’estimerai heureuse d’être la mère d’une fille comme vous.

    On la fit donc monter dans le carrosse doré de la reine, ni voulut l’avoir à son côté, et tous les gens du village la suivirent aussi loin qu’ils purent aller, en la comblant d’éloges et de bénédictions.

    Plus tard elle épousa le fils du roi, et elle eut une cour magnifique, des jardins splendides et des salons mille fois plus beaux que ceux de sa première prospérité. Mais au milieu de toutes ces splendeurs, elle paraissait quelquefois rêveuse, et quand ses femmes cherchaient à en deviner la raison

    — Je pense au temps où j’étais la fille à Martin, disait-elle. Je ne serai jamais plus aussi heureuse.


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  • Auteur : Jean Macé

    Recueil : Contes du petit château (1862).

    Niveau : 4.

    Genre : Conte.

    Document proposé par Littérature au primaire.

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    La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    LA HACHE ET LE POT-AU-FEU 

    (Jean Macé, Contes du Petit-Château)

     

    Il était une fois un brave bûcheron qui vivait avec sa femme, sa petite fille et son petit garçon, dans une maisonnette qu’il s’était bâtie lui-même au milieu des bois. La femme était alerte et de bonne humeur, encore fraîche malgré ses trente-deux ans, et tenait le pauvre ménage si net et si propre qu’on se serait cru chez des gens riches quand on entrait dans la maisonnette. La petite fille, qui s’appelait Georgette, commençait à aider sa mère. Elle essuyait les assiettes après le dîner, épluchait la salade comme une grande personne, et savait déjà casser très proprement les œufs quand il y avait une omelette à faire. Le petit garçon, qui s’appelait Pierrot, allait au bois avec son père, et il s’amusait encore à chercher des fraises et à faire des bouquets pour sa mère et sa sœur, pendant que le bûcheron attaquait les grands arbres avec sa lourde hache ; en revanche, quand les arbres étaient à terre, il abattait à tour de bras les menues branches avec sa serpette, et fagotait si gentiment que c’était un plaisir. Le bûcheron était grand et vigoureux, vaillant au travail et doux au logis. Bref, tout ce monde vivait heureux, sans demander davantage, et il n’était pas de famille dans tout le pays qui s’endormit le soir en remerciant le ciel d’un meilleur cœur.

    Malheureusement, à la suite d’un été plus chaud que les autres, il survint de vilaines fièvres qui ravagèrent toute la contrée. Partout on n’entendait parler que de morts et de mourants, et la pauvre maisonnette fut atteinte à son tour par le fléau. La femme tomba malade la première ; et elle était étendue sans force dans le lit, regardant d’un œil languissant sa petite Georgette, qui la soignait de son mieux, quand elle vit avec effroi son mari revenir du bois avant l’heure, tout pâle, et s’appuyant sur une épaule de Pierrot : le brave petit garçon portait résolument sur l’autre la lourde hache qui avait échappé aux mains défaillantes de son père, et sous le poids de laquelle il ployait. Le bûcheron se coucha en frissonnant à côté de sa chère malade, et trois jours après, des hommes arrivèrent au matin pour l’emporter : il était mort.

    Quand la pauvre femme vit emporter le corps de son mari, et qu’elle se sentit seule avec ses petits enfants, la tête perdue de douleur, et les membres enchaînés par la maladie, une grande terreur s’empara d’elle. Oubliant sa propre perte, elle s’épouvantait pour ses enfants.

    — Qu’allez-vous devenir, chers agneaux, s’écria-t-elle, maintenant que vous avez perdu votre protecteur, et que moi, misérable, je ne puis rien faire pour vous ?

    Dans ses alarmes, la tendre mère s’indignait presque contre elle-même du mal qui la réduisait à l’impuissance.

    — Ne crains rien, maman, s’écria Pierrot en essuyant les larmes qui coulaient en abondance de ses yeux. Je suis maintenant un homme, et je sais faire les fagots. C’est moi qui vous nourrirai toutes les deux.

    Et roidissant ses petits bras, il appelait à son secours toute la force qu’il n’avait pas.

    — Et moi, dit Georgette en se haussant jusqu’à l’oreiller, et prenant dans ses deux mains la tête de sa mère, qu’elle couvrit de baisers, et moi je sais faire le ménage ! Reste malade tout à ton aise, chère petite mère, j’aurai soin de tout pour toi.

    La malade sourit tristement, car elle voyait bien que les pauvres petits n’étaient pas en état de faire ce qu’ils promettaient ; mais leur courage et leur bon vouloir remplirent bientôt son cœur d’une douce consolation qui la reposa de ses souffrances et de ses chagrins. Épuisée par les horribles nuits qu’elle venait de passer, elle céda à l’influence de cet instant de repos, et s’endormit paisiblement sous les baisers de Georgette.

    Dès qu’il vit sa mère endormie, Pierrot prit sa serpette et sortit sur la pointe du pied. Il voulait commencer sans plus tarder son rôle de protecteur de la famille. Il marcha droit à l’arbre que son père venait d’entamer quand le mal l’avait saisi, brandit sa serpette d’un air déterminé, et se mit à l’ouvrage avec ardeur. Il avait d’abord le coeur bien gros en frappant sur les dernières entailles faites par la grande hache ; mais un autre sentiment ne tarda pas à s’emparer de lui. Il avait beau frapper ; la serpette, qui faisait un si bel ouvrage avec les menues branches, n’avançait à rien sur ce gros tronc noueux. De temps en temps un petit éclat de bois volait en l’air, mais il n’y paraissait pas ; et Pierrot, déjà tout en sueur, se sentait découragé jusqu’au fond de l’âme, sans renoncer pourtant à son entreprise.

    — J’y mettrai tout le temps qu’il faudra, se disait-il ; mais j’en viendrai à bout.

    De son côté, Georgette avait pris en main la direction du ménage. Le premier coup d’œil jeté autour de la chambre lui révéla toute l’immensité de sa tâche. Depuis que sa mère gardait le lit, tout était resté à l’abandon. Une épaisse couche de poussière couvrait les meubles. Elle commença par les essuyer, et ne s’en tira pas trop mal, à cela près qu’une bonne moitié de la poussière, celle qui s’était logée dans les fentes et dans les coins, échappa aux allées et venues de son torchon ; mais pour un commencement, il n’y avait pas trop à dire. Puis elle songea à laver la vaisselle sale qui s’était accumulée durant tous ces jours au pied du buffet. A défaut d’eau chaude, elle prit au ruisseau qui coulait devant la porte un baquet de belle eau claire qui enleva tant bien que mal le plus gros de l’affaire, et, à force de frotter avec la lavette, elle s’en tira assez passablement. Jusque-là tout allait bien. Mais il lui vint à l’idée que Pierrot reviendrait le soir du bois, et qu’il lui faudrait dîner. Grand embarras pour la petite fille qui n’avait jamais fait de cuisine ! Pour rien au monde elle n’aurait voulu réveiller sa mère qui dormait d’un si bon sommeil. En furetant dans le buffet, elle y trouva un morceau de viande que son père était allé chercher le matin du jour fatal où la fièvre l’avait pris, et se mit en tête de préparer un pot-au-feu, comme elle l’avait vu faire bien des fois à sa mère, sans trop chercher, il est vrai, à se rendre compte, ainsi qu’il arrive aux enfants. Allumer le feu, ce fut bientôt fait. Mettre la viande dans la marmite remplie d’eau, et la marmite sur le feu, ce n’était pas non plus bien difficile. Mais cela fait, la pauvre Georgette resta là devant son pot-au-feu, qu’elle regardait d’un air penaud, se recommandant à Dieu : elle était au bout de sa science.

    Juste en ce moment les bonnes fées tenaient leur conseil dans un grand nuage doré d’où elles examinaient tout ce qui se passait sur la terre, cherchant les méchantes gens à punir, et les bons petits enfants qui pouvaient avoir besoin de leur aide. Elles aperçurent Pierrot s’escrimant de son mieux sur son gros arbre, et Georgette en contemplation devant sa marmite.

      Laisserons-nous ainsi ces chers enfants dans l’embarras, dit la vieille fée qui présidait l’assemblée. Ils n’ont écouté que leur cœur pour commencer ; aidons-les à finir.

    Aussitôt deux des plus jeunes fées se laissèrent glisser du haut du nuage doré, et le pauvre Pierrot, qui n’en pouvait bientôt plus, aperçut tout à coup devant lui une jolie petite chienne, la plus petite et la plus jolie qu’il eût jamais vue. Elle était noire, avec de longs poils plus fins que la soie, et une tache de feu qui courait le long de son museau. Ce museau, une merveille de délicatesse, se terminait en pointe effilée, et laissait voir une double rangée de dents aiguës, d’une blancheur éblouissante. Elle caracolait devant Pierrot, en chienne qui veut faire amitié, et levait en l’air ses jambes de devant, sveltes et mignonnes, qu’on aurait prises pour deux ressorts d’acier, tant il y avait de force et de souplesse dans leurs mouvements. Elle lui rappela dans ses bonds une petite chienne, nommée Finette, qu’avait eue son père, et avec laquelle il avait fait jadis bien des parties.

    — Je vois bien que tu es gentille, ma pauvre Finette, dit-il avec un soupir ; mais il faut me laisser travailler : je n’ai pas le temps de jouer avec toi.

    — Oh ! ne crains pas que je te dérange de ton travail, dit la chienne. Je viens pour t’aider, au contraire.

    — Ce n’est pas de refus ; j’en ai bon besoin. Vois ce gros arbre qu’il faut que j’abatte avec ma serpette : c’est moins facile que je ne le pensais.

      Eh bien ! j’y perdrai mon nom de Finette, ou nous en viendrons à bout. Commence par me jeter cet outil de rien du tout, et regarde un peu au pied de ton arbre.

    Avant de jeter la serpette Pierrot regarda, et il demeura tout interdit en apercevant une grande hache qui paraissait encore plus lourde que celle de son père.

     

    La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)


    — Eh ! ma chère Finette, qu’est-ce que tu veux que je fasse de cette hache ? C’est à peine si je pourrai la lever au-dessus de ma tête.

    — Essaye !

    Et la petite chienne sauta après la serpette, comme si elle eût voulu la lui arracher des mains.

    Pierrot, qui ne reculait jamais devant la fatigue, ramassa bravement la hache, et la soulevant avec un grand effort, la laissa retomber sur l’arbre. Du premier coup elle enleva, comme un rabot, toutes les déchiquetures dont le haut de la fente était hérissé, et abattit un gros copeau bien net, qui parut quelque chose d’admirable au petit bûcheron. Le second coup alla encore mieux, et le courageux garçon s’aperçut bientôt, en redoublant ses efforts, qu’ils devenaient moins pénibles à chaque coup. Le manche massif, qu’il avait eu d’abord bien de la peine à enfermer dans ses deux mains, allait toujours en s’amincissant entre ses deux doigts. Le fer aussi s’amenuisait, et lui paraissait de plus en plus léger; et en même temps le tranchant s’effilait toujours davantage : jamais fer de hache n’avait si bien coupé. Finette gambadait autour de Pierrot, et à chaque fois qu’elle le touchait de la patte, ou de la queue, il se sentait devenir plus fort; ses coups étaient plus vigoureux et mieux dirigés, et les copeaux pleuvaient comme grêle tout autour de lui. En moins d’une heure, l’arbre traversé presque d’outre en outre se pencha en arrière avec un horrible craquement. Pierrot n’eut que le temps de se jeter de côté, et le géant renversé par cette petite main qui lui avait semblé d’abord si peu dangereuse, tomba lourdement à terre, écrasant les buissons sous sa chute, et couvrant de ses branches un vaste espace de terrain.

    Aussitôt, sur un jappement de Finette, parut un petit nain, pas plus haut qu’une botte. Il ramassa la serpette avec laquelle il commença à frapper sur les branches qui jonchèrent le sol en un clin d’œil. D’énormes fourmis, sorties tout à coup du milieu des herbes, tirèrent de tous les côtés sur les branchages qui s’amoncelèrent comme d’eux-mêmes en fagots; et Pierrot émerveillé sautait de joie, en caressant Finette qu’il avait prise dans ses bras.

    — S’il n’en coûte pas plus, s’écria-t-il quand il eut repris haleine, j’en abattrai bien un autre.

    Et levant de nouveau sa chère hache qui avait pris le poli d’un rasoir, il en frappa un second arbre, encore plus gros que le premier, dans lequel elle entra comme dans du beurre.

    Pendant ce temps il se passait aussi quelque chose d’extraordinaire dans la maisonnette. La pauvre Georgette s’était accroupie devant le feu, et, ne sachant mieux faire, elle y entassait bûche sur bûche c’est ce qui manque le moins dans la maison d’un bûcheron. Déjà l’eau faisait entendre ce bruissement particulier, si connu des cuisinières, qui sort des marmites quand elles s’apprêtent à, bouillir. Georgette était tout yeux et tout oreilles. Un ron-ron très accentué appela ailleurs son attention, et une tête blanche, avec des yeux verts, vint se frotter contre sa main. C’était un gros chat blanc, de toute beauté, qui venait d’entrer sans cérémonie par un carreau ouvert, et qui se prélassait dans la chambre comme s’il eut été chez lui.

    Elle le caressa sur le front, à l’endroit où les chats aiment à être grattés.

    — Ah ! mon pauvre Mouton, lui dit-elle (Mouton était le nom d’un petit chat quelle avait beaucoup aimé, et depuis qu’il avait disparu, elle appelait Mouton tous les chats qu’elle voyait), ah ! mon pauvre Mouton, tu me vois bien embarrassée !

    — Je suis venu ici pour te tirer d’affaire, répondit le chat en s’asseyant devant elle, et faisant aller sa queue, par petites saccades, à droite et à gauche.

    Toi! me tirer d’affaire ! reprit Georgette en riant, et comment t’y prendras-tu? J’ai à faire un pot-au-feu pour mon frère Pierrot qui est au bois. Les chats n’y entendent rien.

    Que je ne m’appelle plus Mouton si je ne te sors pas de là. Et d’abord défaisons ce feu à rôtir un bœuf, qui nous gâterait tout. Un pot-au-feu demande à être mené plus doucement.

    Joignant l’action aux paroles, Mouton frappa légèrement du bout de sa patte ce grand amas de bûches qui s’affaissa aussitôt, et s’enterra dans les cendres rouges d’où sortait une petite flamme de braises, aussi douce et tranquille qu’une mariée qui s’en va à l’église.

    — Voyons maintenant si tu n’as rien oublié.

    Le bout de la patte effleura délicatement l’eau qui commençait à bouillotter, et une petite langue rose lécha les gouttes qui s’étaient suspendues aux poils.

    — Il paraît que nous n’avons pas pensé au sel.

    Georgette rougit jusqu’à la racine des cheveux. Elle n’avait pas pensé au sel.

    Quand cette grave omission fut réparée, le chat promena ses regards dans toute la chambre.

    — Ce n’est pas trop mal essuyé, dit-il ; mais on pourrait faire mieux.

    A l’instant douze petites souris blanches grimpèrent sur les meubles, chacune portant à la patte droite de devant un carré de flanelle de la grandeur d’une carte de visite. Elles se glissèrent dans tous les coins, trottèrent le long de toutes les fentes, et frottèrent si bien partout que, quand elles se furent retirées, tout semblait remis à neuf dans la maisonnette.

    Georgette était dans le ravissement.

    — Ah ! mon cher petit Mouton, fit-elle en serrant le gros chat blanc sur son cœur, que je te suis donc reconnaissante de m’avoir si bien montré! C’est comme cela que je veux faire demain. Maman sera bien contente. En parlant ainsi elle regardait du côté de sa mère qui dormait toujours d’un sommeil profond. Dans l’excès de sa joie, elle courut baiser une main de la malade qui pendait hors du lit ; puis elle revint à son pot-au-feu qu’elle avait oublié de surveiller pendant que les souris blanches faisaient leur nettoyage Elle recula d’effroi. Un je ne sais quoi de grisâtre et boursouflé, d’un fort vilain aspect, couvrait toute la surface de la marmite.

    — Mouton, dit-elle presque pleurant, mon pauvre Mouton, viens vite voir ! Voilà notre pot-au-feu qui s’est tout sali !

     

     

    La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    Mouton s’approcha du feu, et se dressa sur ses pattes de derrière.

    — Ne t’afflige pas, dit-il ; il s’est nettoyé au contraire. Il faut enlever cela bien proprement. Ce sont toutes les ordures du sel et de la viande qui demandent à s’en aller.

    Et lui montrant une charmante écumoire d’argent avec un manche en ébène, qui venait de s’accrocher toute seule au clou de la cheminée, il lui enseigna d’un geste la manière de s’en servir.

    Quand le pot-au-feu fut bien écumé, Mouton conduisit Georgette au petit jardin que le bûcheron avait établi derrière sa maison. Elle lui fit tirer de terre deux belles carottes, un navet, quatre poireaux qui, bien lavés et ratissés, attachés ensemble par un grand bout de fil dans un petit bouquet de persil, furent descendus doucement au fond de la marmite, avec une tête de chou frisé qui dansait à la surface où les bouillons de l’eau la faisaient sans cesse remonter.

    — Est-ce tout? demanda Georgette à son chat.

    — Il faut faire les choses jusqu’au bout, répondit le chat, qui, sautant sur ses genoux, y déposa un tout petit oignon brûlé. — Mettez-y encore cela Pour donner de la couleur au bouillon, et ensuite nous attendrons tranquillement le frère Pierrot en mettant le couvert.

    Cependant le soir approchait. Le roi Pétrus chassait ce jour-là dans la forêt qui était à lui, et où il entretenait toutes espèces de gibier connues, sauf pourtant les mauvaises bêtes, car il aurait été désolé qu’il arrivât malheur à un de ses sujets à cause de lui. C’était le meilleur bonhomme de roi qu’un peuple pût désirer, si ce n’est qu’il était trop entiché de sa couronne, au point de la garder sur sa tête quand il allait à la chasse, et qu’il se croyait un peu fait d’une autre pâte que le reste des hommes Mais la sienne était si bonne que personne ne pouvait lui en vouloir.

    Cet excellent roi se trouvait dans un grand embarras pour le quart d’heure. S’étant laissé emporter à la poursuite d’un chevreuil par son grand chien Phanor, un animal plein d’ardeur, il avait abandonné sa suite qui courait sur une autre piste, et comme les princes ne sont pas tenus de savoir les chemins puisqu’on les conduit toujours, il n’avait pas tardé à se perdre de façon à ne plus savoir où il allait. Il voyait avec terreur le soleil descendre rapidement sur l’horizon, non pas qu’il eût peur d’une nuit passée dans les bois, c’était un brave ; mais parmi les prérogatives de sa couronne, une de celles qu’il prisait le plus, c’était la régularité de ses repas, et l’heure de son dîner s’avançait sans qu’il pût entrevoir le moyen d’aller le rejoindre à temps. Tout bon qu’il était, il tempêtait comme un mécréant, et jurait à cœur joie après l’impétueux Phanor qui, plein d’insouciance pour les augustes colères, bondissait le nez au vent dans les fourrés, et courait plutôt après le chemin des lièvres qu’après celui du palais.

    Le bruit des coups de hache, qui retentissaient au loin dans le silence de la forêt, conduisit le monarque errant, jusqu’à la place où notre Pierrot achevait d’abattre son quatrième arbre. Le seigneur Phanor qui allait en avant, avait commencé par tomber en arrêt sur Finette, qu’il semblait vouloir assommer d’un coup de sa grosse patte. Mal lui en prit, car Finette, lui sautant au nez, y planta ses crocs d’une façon si déterminée; qu’il se rejeta en arrière en hurlant de douleur. Pierrot, qui accourait la hache haute au secours de sa petite amie, Pierrot s’arrêta court quand il vit le roi paraître entre les arbres : il était facile à reconnaître avec sa couronne sur la tête.

    — Tudieu! mon gaillard, fit la tête couronnée, comme nous y allons! Ce drôle-là ne vaut pas cher; mais il est à moi : je ne permets pas qu’on y touche.

    — Que Votre Majesté ne se fâche pas après moi, dit respectueusement Pierrot. Je ne savais pas que c’était son chien, et je défendais ma chienne.

    — C’est bien, garçon, n’en parlons plus. Où suis-je, ici?

    — Dans la coupe des Grands-Bossons, à deux pas de la mare aux Osiers.

    — Au diable soit cet enragé de Phanor ! Il m’a emmené juste à l’opposé de mon chemin. Et toi, petit, que fais-tu là ?

    Je suis le fils de votre bûcheron qui demeurait contre le ruisseau des Vinettes, et j’achève l’ouvrage qu’on avait donné à mon père.

    — Comment cela ? Est-ce qu’il serait parti sans rien dire ?

    — II est mort hier, sire.

    Et l’enfant rassembla tout son courage pour retenir deux grosses larmes qui roulaient dans ses yeux.

    — Pauvre cher petit! dit le bon roi avec compassion.

    Sa couronne l’empêchant de se baisser sur l’enfant, il le haussa jusqu’à sa bouche et l’embrassa tendrement sur les deux joues.

    — Ah çà! poursuivit-il qui a fait tout cet ouvrage?

    Une quantité prodigieuse de fagots était rangée en tas le long des troncs gigantesques, et les éclats de bois jonchaient le sol de tous les côtés.

    — C’est moi, sire, depuis ce matin. Il est vrai que l’on m’a aidé pour les fagots.

    — Toi, petit ? Tu ne voudrais pas te moquer de moi !

    — Oh ! sire, il ne faut pas vous étonner. J’ai une si bonne hache.

    Le roi Pétrus eut la fantaisie d’essayer cette hache merveilleuse avec laquelle un enfant avait pu faire tant d’ouvrage dans sa journée. C’était un des faibles de ce digne monarque d’aimer à faire montre de ses muscles partout où il en trouvait l’occasion. Large d’épaules, et haut monté sur jambes, il aurait pu, de fait, remplacer avantageusement un portefaix de force ordinaire, et comme il ne rencontrait jamais que des jouteurs complaisants, il en était arrivé à se croire un des hommes les plus forts qu’il y eût sur la terre. Dans ses moments de gloriole, il se comparait volontiers à Charlemagne, qui d’une seule main, dit l’histoire, levait de terre un chevalier tout armé. Se figurant donc qu’il allait émerveiller Pierrot, et mettre l’arbre à bas du premier coup, il saisit la hache qui avait l’air d’un joujou dans les mains de l’enfant. Mais elle reprit sa taille et son poids dans les siennes, et comme il n’avait pas l’habitude de manier de semblables outils, le coup qu’il asséna de toute sa force porta si bien à faux que la hache lui échappa des mains, et qu’il faillit tomber à la renverse. La couronne en branla si fort que, s’il n’y avait p.as porté immédiatement la main, elle allait rouler dans les copeaux.

    Un autre roi ne l’aurait jamais pardonné à Pierrot; mais le roi Pétrus n’était pas homme à nourrir un mauvais sentiment. Il fut le premier à rire de sa mésaventure; mais il avait beau rire, il était piqué.

    — Tu appelles cela une bonne hache! dit-il, avec un peu d’amertume. Eh bien ! fais-moi le plaisir de te remettre à la besogne. Je suis curieux de la voir fonctionner entre tes mains.

    Mon Pierrot, hardi comme un page, reprit gaîment sa hache qui se rapetissa aussitôt, et en quatre coups il eut achevé le compte de l’arbre, qui s’inclina, craqua et fit trembler la terre sous le poids énorme de sa chute.

    La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    Le brave roi ne se possédait plus d’admiration.

    — Tu peux te vanter, mon garçon, s’écria- t-il, de n’avoir pas ton pareil. Tu vas venir avec moi ; je yeux t’emmener à ma cour.

    Cette proposition prenait Pierrot à l’improviste. Il se tourna vers Finette, comme pour lui demander conseil.

    Mais les animaux-fées ne veulent parler aux enfants que quand ils sont seuls avec eux. La petite chienne se contenta de battre de sa queue les jambes de l’enfant qui trouva sur-le-champ sa réponse.

    — Et vous, dit-il en riant, ne voudriez-vous pas quitter votre cour pour venir chez moi ?

    — Mauvais plaisant, répondit le monarque dont les sourcils se froncèrent involontairement; à ma cour, je suis un grand roi, et chez toi, je ne serais plus qu’un grand bûcheron.

    — Et moi, fit maitre Pierrot, à votre cour, je ne serais phis qu’un petit bûcheron, et ici je suis un petit roi.

    Il sauta en même temps sur le plus gros des arbres renversés, et parcourut d’un regard de triomphe les lieux témoins de ses exploits.

    Le roi Pétris entendait la plaisanterie, et l’heure de son dîner était déjà passée.

    Tu es un brave petit garçon qui as le mot pour rire, dit-il d’un ton de bonne humeur. Emmène-moi chez toi, puisque tu en as parlé, et, s’il s’y trouve quelque chose à manger, nous nous mettrons à table ensemble.

    Tout joyeux d’un si grand honneur, Pierrot ne se le fit pas dire deux fois. Il jeta sa hache sur son épaule et ils partirent d’un bon pas causant ensemble comme deux camarades. Le beau Phanor, qui avait flairé une supériorité dans Finette, faisait l’aimable devant elle, tout chien de cour qu’il était, et ne craignit pas de compromettre sa supériorité avec une chienne de bûcheron.

    Ils étaient encore à plus de vingt-cinq pas de la maison, qu’une délicieuse odeur de pot-au-feu vint chatouiller agréablement le nez du bon roi, dont l’appétit avait achevé de s’aiguiser pendant le trajet.

    — Oh! oh ! dit-il, petit, il paraît, qu’on se nourrit bien chez toi. Je n’ai pas eu une mauvaise idée de m’inviter.

    Pierrot, qui avait réfléchi, chemin faisant, n’était pas sans appréhension sur le dîner qu’il pourrait offrir à son royal convive. Quelle fut sa surprise, en entrant dans la maisonnette, d’y trouver table mise, avec du linge parfaitement propre, des verres et des assiettes qu’il ne reconnaissait plus, tant ils brillaient, et une grande soupière où fumait ce succulent potage qui se faisait sentir de si loin.

    La mère, assise dans son lit les cheveux remis en ordre, et avec une camisole bien propre, achevait de boire, à petites gorgées, une tasse de bouillon que le gros chat lui avait fait passer dans un joli petit morceau de batiste, pour enlever la graisse, en recommandant bien à Georgette de le couper d’eau.

    Le premier mouvement de joie passé, le garçon se jeta sur une chaise, et se mit à pleurer à chaudes larmes.

    Qu’as-tu, bon Dieu ! mon petit Pierrot ? s’écria Georgette courant à lui. Est-ce que tu n’es pas content du beau dîner que je t’ai préparé ?

    Oh si! je suis content ! mais je viens de penser à papa qui aurait tant de plaisir s’il était avec nous.

    — Viens m’embrasser, cher petit, dit la mère de son lit. Toi et ta sœur, vous êtes deux bons enfants qui me rendez bien heureuse, et votre père le voit bien sûr d’où il est.

    Et ces trois innocentes créatures, s’unissant dans un triple baiser, confondirent pieusement leurs larmes qui allèrent réjouir le mort dans sa nouvelle demeure.

    Jusque-là personne n’avait fait attention au roi Pétrus, et le bon roi ne s’en offusquait pas il avait plus envie de pleurer que de se fâcher. Quand il jugea que ses hôtes avaient suffisamment épanché leur douleur, il fit un pas en avant.

    — Je prends part à votre peine, mes bons amis, dit-il d’une voix émue.

    Puis, regardant, la soupière d’un œil d’envie il ajouta:

    — Voulez-vous me permettre de partager aussi votre dîner ?

    La mère jeta un cri de joyeuse surprise en voyant le roi chez elle, et Pierrot, se confondant en excuses, allait réclamer un troisième couvert, quand il s’aperçut qu’il était déjà mis. C’était Mouton qui l’avait voulu, et Georgette avait obéi sans demander d’explication.

    Il n’y avait donc plus qu’à se mettre à table, et pendant que les deux enfants se racontaient mutuellement l’histoire de leur journée, le roi Pétrus, qui écoutait tout sans perdre une bouchée, se servit coup sur coup trois grandes assiettées de la meilleure soupe qu’il eût mangée de sa vie.

    Quand il eut fini, il prit, à son tour la parole, en repassant sa langue sur ses lèvres.

    — Puisque vous êtes des enfants si favorisés, dit-il, je veux me mettre aussi de la partie. Toi et ton chat, petite, vous êtes bien à vous deux les plus fameux cuisiniers que j’aie jamais rencontrés. Venez dans mon palais : je veux vous mettre à la tête du service de mes cuisines.

    Aller dans le palais du roi, c’était une perspective bien séduisante pour une petite fille !

    — Pourrai-je emmener avec moi ma mère et Pierrot ? répondit timidement Georgette.

    Le chat blanc sauta en grondant sur le lit, et Finette se serra contre les jambes du petit garçon.

    — Et ton père, mon enfant, s’écria douloureusement la mère, pourras-tu aussi l’emmener avec toi ?

    — Il faut nous excuser, sire, dit Pierrot les larmes aux yeux ; mais nous avons là quelqu’un qui ne peut plus s’en aller d’ici, et qui s’ennuierait si nous le laissions tout seul.

    — Eh bien ! il ne sera pas dit que je n’aurai rien fait pour d’aussi braves gens. Toi, mon brave petit bûcheron, tu auras la haute main sur toutes les coupes de ma forêt, et tâche de ménager un peu ta hache, car tu l’aurais bientôt abattue d’un bout à l’autre.

     

    La Hache et le Pot-au-feu - Jean Macé (Contes du Petit Château)

    C’était le pain assuré pour toujours à la pauvre famille, sans l’enlever à ses habitudes de vie laborieuse. Finette vint caresser le bon roi qui lui rendit ses caresses, et Mouton, s’étant élancé d’un bond sur son épaule, frotta familièrement sa moustache contre la moustache royale.

    Au même instant la porte s’ouvrit, et les courtisans du roi, qui le cherchaient partout, poussèrent de grands cris de joie en l’apercevant. Ils racontèrent plus tard qu’une force secrète les avait entraînés de ce côté-là sans qu’ils pussent s’expliquer pourquoi. Le roi Pétrus s’en alla avec eux, le coeur content et l’estomac en repos, emportant les bénédictions de toute la famille.

    Finette et Mouton s’endormirent ce soir-là au coin du feu, couchés en rond dans les pattes l’un de l’autre. Mais le lendemain matin, ils avaient disparu. Pierrot et Georgette, en s’éveillant, virent à leur place deux jeunes dames d’une beauté merveilleuse, qui tenaient chacune une clef à la main.

    — Tenez, dirent-elles aux enfants en leur donnant les clefs, voici pour le jour où vous vous marierez. Continuez de bien travailler et de rendre votre mère heureuse, et le ciel veillera sur vous.

    Puis elles remontèrent dans le beau nuage doré où elles étaient attendues pour rendre compte de leur mission.

    Les deux enfants se précipitèrent hors de la porte, et les suivirent de l’œil le plus loin qu’ils purent, et quand ils ramenèrent leurs regards sur la terre, ils aperçurent à leur grand étonnement deux jolies petites maisons qui s’élevaient à droite et à gauche de la maisonnette paternelle. Ils essayèrent leurs clefs qui ouvrirent très bien les portes, et, étant entrés chacun dans sa maison, ils y trouvèrent tout ce qu’il fallait pour un ménage. Dans la maison de Pierrot il y avait un assortiment complet de tous les outils nécessaires à un homme qui vit dans les bois, et dans celle de Georgette une batterie de cuisine, dont les cuivres reluisaient si bien au soleil qu’on aurait juré voir des casseroles en or.

    Ils s’établirent là dedans le jour de leur mariage. Pierrot épousa la fille du meunier, qui était la plus avenante et la plus vertueuse fille de tout le pays, et Georgette un jeune bûcheron, aussi fort et aussi bon que l’avait été leur père, et le plus beau garçon qu’il y eût â dix lieues à la ronde. Ils eurent tous les deux de jolis enfants qui venaient danser tous les jours sur les genoux de la vieille grand’mère, et quand celle-ci alla rejoindre son cher défunt, elle quitta la vie en remerciant le ciel de tout le bonheur qu’il lui avait donné.

    Pierrot, sur ses vieux jours, jouissait d’une telle considération parmi tous ses voisins, qu’il fut nommé maire du village d’où dépendaient les maisonnettes, et vous conviendrez qu’un homme d’une ambition raisonnable peut mourir content quand il en est arrivé là.


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    1. L'enfant prodige. M.Pagnol, La gloire de mon père
    2. La classe aux songes. M. Druon, Tistou les pouces verts
    3. Débuts malheureux. Michelet, Ma jeunesse
     








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    106. Le merveilleux départ. M.Pagnol, La gloire de mon père
     
















     

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    103. La tente de "Peau-d'âne". Frison-Roche, Retour à la Montagne
    104. Nous campons. G.Giscard, Grand pêcheur devant l'éternel
    105. Sur les sommets. P. Gaussot, Le ski
     









     

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    100. Concours de pêche. M. Genevoix, La Boîte à Pêche
    101. La plage de l'Isle-Adam. R. Devigne, Jeune Chef
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